PARIS - Pour lutter contre l'"enfouissement" des sans-abri dans les couloirs du métro parisien, Patrick Henry, médecin alcoologue, a créé il y a plus de 20 ans le "Recueil social", un service de la RATP qui s'efforce de ramener les SDF à la lumière du jour.
Chaque jour, des centaines de sans-abri se réfugient dans les 300 stations du métro parisien. Un abri qui les protège de la pluie et du froid mais qui cause des ravages sur les plans physique et psychologique.
"C'est une sorte d'enfouissement. Ce n'est pas uniquement pour se protéger des intempéries mais pour se cacher du reste du monde. Ce n'est pas anodin", décrit le Docteur Henry, 61 ans. "Ça accélère le processus de désocialisation. Dans le métro, j'ai vu des personnes se 'clochardiser' en trois semaines".
Sourire ironique, nom de criminel célèbre qui, dit-il, lui a valu de fréquents commentaires, le médecin a pris de plein fouet la réalité de la misère lorsqu'il exerçait à Nanterre. Les clochards parisiens étaient amenés "de force" vers le centre d'hébergement voisin de l'hôpital où Patrick Henry officiait, raconte-t-il. Douches collectives, crânes rasés pour éviter les poux, dortoirs... Au centre d'hébergement, "c'était la honte", se rappelle le médecin.
"Ça fait trois fois qu'on me dérange, j'en ai marre"
En 1984, le médecin décide d'ouvrir une consultation dédiée aux SDF, qu'il appelle ses "clients". Il y reçoit une soixantaine de patients par jour. Il tient plusieurs années. "Et puis j'en ai eu ras-le-bol. C'est vraiment pas bon pour le moral". Remarquant que les personnes les plus atteintes sont amenées des stations du métro parisien, il contacte la RATP avec laquelle il créé en 1992 le Recueil social.
Composés d'agents de la RATP volontaires, les équipes du Recueil social arpentent chaque jour les couloirs du métro, de l'ouverture à la fermeture des portes.
Dès 6h30 du matin, Stéphane Vacquier, 43 ans, Madjid Tahar, 50 ans, et Mohammed Hamdini, 49 ans, descendent sous terre, vestes beiges siglées "Solidarité RATP". "Bonjour, ça va?" lance Madjid, saluant systématiquement chaque sans-abri sur le quai du RER à Nation. "Non, ça fait trois fois qu'on me dérange, j'en ai marre", rouspète l'un d'eux, bonnet rouge vissé sur la tête. "Allez, viens prendre un petit café", propose l'agent à un autre, essuyant un refus.
"80-90% ne veulent aucune aide", commente Mohammed. D'autres, en revanche, sont des habitués et guettent l'arrivée de l'équipe. Ce jour-là, quatre hommes ont pris place dans la camionnette RATP, direction un centre d'accueil de jour, où ils pourront manger un morceau, prendre une douche et laver leur linge.
Un taux de réinsertion très faible
Pour l'un d'eux, Jean-Pierre, l'équipe a obtenu un hébergement de 5 semaines, "une petite victoire", souligne Stéphane. Mais la grande satisfaction, c'est quand certains sortent définitivement de la rue, comme Michel, qui a rejoint une maison de retraite après dix ans sur le trottoir.
"En termes de réinsertion, les résultats sont très faibles", relativise Patrick Henry, "mais en termes de bien-être social, c'est mieux", estime-t-il, tout en soulignant que les efforts du Recueil social sont limités par le manque de places d'hébergement disponibles. "Et pour arriver à placer quelqu'un en psychiatrie, c'est la croix et la bannière", s'insurge le médecin, alors que selon les associations, au moins un tiers des SDF souffrent de problèmes psychiatriques.
Patrick Henry "a développé un regard" envers les sans-abri, estime Xavier Emmanuelli, le fondateur du Samu social, qui avait pris dans les années 1990 sa suite à la consultation médicale de Nanterre. Pour Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, le médecin est un "pionnier", qui a "responsabilisé la RATP en leur disant que le problème des sans-abri était aussi le leur".

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