Alors qu’une éventuelle intervention militaire américano-française contre la Syrie semble de plus en plus inévitable, des experts en renseignements de plusieurs pays sonnent l'alarme. Les justifications pour rendre une telle intervention légitime sont nettement insuffisantes.
L'administration Obama et le président français Francois Hollande ont juré de punir le gouvernement syrien à la lumière de ce qu'ils affirment être des preuves irréfutables que ce dernier a utilisé des armes chimiques en banlieue de Damas, tuant des centaines de civils. Cependant, un nombre grandissant d'analystes qui ont scruté à la loupe les renseignements militaires lors d'autres conflits armés préviennent la communauté internationale que les preuves qui démontreraient un lien entre le régime du président Bachar el-Assad et cette attaque aux armes chimiques sont à tout le moins incomplètes.
Un des experts mondiaux en armes chimiques, Jean Pascal Zanders, a déclaré vendredi 30 août au Huffington Post UK qu'il a de sérieux doutes quant à l'agent chimique qui aurait été utilisé lors de l'attaque sur Ghouta.
"Nous ne savons pas encore de quel agent chimique il s'agit", explique Zanders qui, jusqu'à tout récemment, était agrégé supérieur de recherche à l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne, un organisme de l'Union européenne qui examine les questions relatives à la défense et à la sécurité. "Tout le monde crie au sarin, et il y a clairement un agent neurotoxique qui a été utilisé, mais ce n'est pas si clair que ce soit le sarin."
Or, déterminer quel agent chimique a été utilisé est une information cruciale, selon Zanders, car la famille de produits neurotoxiques qui comprend les armes chimiques utilisées par les forces armées comprend également des produits industriels tels que ceux utilisés pour le contrôle des populations de rongeurs. Donc, tant que nous n'aurons pas clairement identifié quel agent neurotoxique a été utilisé, tout lien avec le régime Assad sera tenu, selon Zanders.
"Dans le cas où un agent neurotoxique aurait été volé dans une usine et utilisé à Ghouta, le nombre d'acteurs possibles dans un tel scénario augmente soudainement", ajoute-t-il.
Et la prudence exprimée par M. Zanders n'est que la plus récente expression de scepticisme à émaner des rangs des experts en renseignements qui remettent en question la qualité et la quantité des justifications pour une intervention militaire en Syrie.
Lawrence Wilkerson, qui a examiné les renseignements présentés par Colin Powell comme justifications pour la guerre en Irak, il y a déjà dix ans, a déclaré au HuffPost que les préparatifs pour une intervention en Syrie semblent complètement dénués d'autorité.
Wilkerson voit un parallèle clair entre l'état actuel des choses et les jours qui ont précédé la comparution — totalement discréditée depuis — de Powell, "alors que des gens me disaient qu'il était absolument certain que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive".
"Le même scénario est en train de se répéter", ajoute-t-il.
Un avis qui fait écho à la mise en garde émise par Hans Blix, qui était l'inspecteur en chef des armements en Irak jusqu'au déclenchement de la guerre. Lors d'une entrevue avec Nathan Gardels, Blix a déclaré que "bien que tout semble indiquer que des armes chimiques ont été utilisées" en Syrie, les partisans d'une intervention en Syrie devraient attendre que les rapports des inspecteurs de l'ONU qui se trouvent déjà sur le terrain soient complétés.
"Ce que je constate en ce moment et que j'ai déjà vécu auparavant, c'est que la dynamique politique s'est emballée et devance l'application régulière des procédures normales", a expliqué Blix, ajoutant que la dynamique actuelle rappelait beaucoup celle qui régnait juste avant que l'administration Bush parte en guerre contre l'Irak.
"Je suis en désaccord avec l'affirmation des États-Unis voulant qu'il soit 'trop tard', désormais, pour espérer la collaboration de la Syrie. De plus, c'est une bien piètre excuse pour justifier une action militaire."
De plus, d'un point de vue pragmatique, Blix a également fait valoir que des attaques au missile visant à détruire les stocks d'armes chimiques pourraient très bien faire plus de tort que de bien.
"Attaquer ces stocks avec des missiles cruise, du moins c'est ce que je comprends de la situation, a le désavantage de risquer de voir ces agents chimiques se répandre autour du site", poursuit-il.
Zanders, quant à lui, va encore plus loin. Selon lui, les observateurs étrangers ne peuvent même pas déterminer en toute confiance l'ampleur ni même la position géographique des attaques aux armes chimiques imputées au régime Assad.
Il prend pour exemple les images que le monde entier a vues sur le Web, notamment via YouTube.
"On ne sait pas où elles ont été captées, on ne sait pas quand elles ont été captées, ni par qui. On ne sait même pas si ces images ont toutes été captées lors d'une seule et même attaque ou lors d'attaques séparées dans le temps ou l'espace."
Zanders ajoute: "Il n'y a rien, dans ces images, qui puisse m'indiquer qui peut être responsable de ces images, autant en ce qui concerne le responsable de l'attaque que celui qui a filmé ces images. Tout ce que je peux déduire de ces images, c'est que quelque chose est arrivé quelque part à un moment donné."

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