TELEVISION - Qui sont les Français? Que font-ils? Comment vivent-ils? À en juger par l'offre télévisuelle, ces questions nous passionnent. Sur Direct 8, So France (côté titre, on a vu mieux) explore depuis cet été le business du patrimoine, sur France 2 Marie Drucker part à la rencontre des Français dans Nous... Pourquoi un tel engouement? Peut-être parce qu'entre les représentations issues du passé et la réalité d'aujourd'hui, nous ne savons plus vraiment qui nous sommes. Et si nous percevons les symptômes d'une société en crise, nous en discernons toujours mal les contours.
À cet égard, le film documentaire La France en face, diffusé sur France 3 ce lundi 28 octobre, apporte une contribution aussi limpide que saisissante. Parce qu'il fait la part belle à la géographie sociale, la proposition pourrait pourtant paraître déconcertante, or il n'en est rien. Oubliez d'ailleurs tout ce qu'on vous a appris à l'école. La France n'est plus constituée d'une grande classe moyenne, avec ses 10% d'exclus en bas, et ses 10% de nantis en haut. À travers des portraits, des témoignages mais aussi les analyses de géographes, d'économistes et d'historiens, ce film réalisé par Jean-Robert Viallet, avec Hugues Nancy témoigne de l'existence de deux France, que tout oppose.
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Chronique des deux France
La France en face, c'est chacune de ces deux France, qui regarde l'autre comme médusée, ahurie. D'un côté, il y a "la France des fragilités", de l'autre celle de la mondialisation. D'un côté il y a ces territoires, les déserts, de l'autre ces métropoles qui ont su dépasser l'ère industrielle et rentrer dans l'ère du numérique. À l'origine de cette fracture, une ritournelle déjà bien connue. Aux trente glorieuses ont succédé les trente piteuses, et entre les deux quoi? "La mondialisation," répond le géographe Christophe Guilluy.
Encore un laïus de gauche pour clouer le bec aux apôtres du néolibéralisme? Loin s'en faut. Les géographes, comme les auteurs du film reconnaissent les richesses de la mondialisation, encore faut-il regarder en face ses travers. Aujourd'hui, ce n'est donc plus seulement l'origine sociale et économique qui détermine l'individu, c'est aussi sa position géographique.

La France en face: La carte des fragilités... par 20Minutes
Mais combien sont-ils dans cette France de la campagne, des petites villes et des banlieues à ne pas avoir réussi à prendre le train de la mondialisation? La réponse des géographes: 60%, c'est la proportion de Français qui vivent dans ces territoires "socialement fragiles", à l'image de Saint Dizier, une localité "en déprise" où l'on croise Morgane, une jeune chômeuse. Après l'usine, elle a travaillé en interim, est partie une fois en vacance au cours d'une vie dans laquelle elle ne se projette plus. "Y'a plus rien, plus de travail," dit-elle. Un constat si commun, si fréquent qu'il en perdrait tout sens.
Mise à l'écart
Mais y a-t-il vraiment un sens à ce que donne à voir le film de Viallet et Nancy? Peut-être seulement une nécessité, regarder effectivement la France en face, pour la comprendre et mieux la soigner.
Comprendre, c'est-à-dire prendre note de la gentrification, ce processus de mise à l'écart des classes populaires auquel n'échappe aucune des 25 grandes métropoles. Comprendre, c'est aussi constater le ressentiment de ces nouveaux territoires du vote Front national qui ne se trouvent plus au sud-est ou dans le nord, mais bien dans l'ouest de la France. Comprendre que "dans la France d'aujourd'hui, il y a ceux qui ont gagné, et ceux qui attendent encore".
Il y a en effet urgence. En témoigne le regard que trois anciens ouvriers de Meurthe-et-Moselle, témoins impuissants de la fermeture des hauts fourneaux de Florange en particulier et de la désindustrialisation en général, portent sur leur époque. Entre "mal au coeur" et appel à la violence contre les puissants, ils s'estiment pourtant presque privilégiés d'avoir pu lutter pour quelque chose. "Nous, on avait notre travail, déclare l'un d'eux, là aujourd'hui, ils se battent parce qu'ils n'ont plus de travail."
Comment s'en sortir? Comment désenclaver des populations mises à l'écart? Le bon sens voudrait qu'ils quittent leur campagne pour aller à la ville, vivre un nouvel exode rural qui ne serait qu'un non sens. Et pour cause: les villes sont déjà pleines. "L'idée qu'on peut bouger de sa maison pour trouver un emploi quand on est propriétaire précaire est absurde puisque c'est tout ce qui leur reste, un toit," affirme le géographe Christophe Guilluy.
Cet attachement au toit, on en comprend toute la valeur et la peine à travers le portrait d'Alain et Sylviane, à Villaines-la-Juhel, en Mayenne. Tous deux au chômage, Alain, 48 ans, le visage bouffé par la vie, n'a trouvé qu'un emploi à temps partiel, se lever tous les jours à 2h du matin pour distribuer Ouest-France. Autour d'eux, plus rien, ni usines, ni interim, leur maison est tout ce qu'ils ont.
Espoirs
Face à la fragilisation, le documentaire apporte tout de même quelques notes d'espoir. D'abord, celui de la volonté, mais aussi et peut-être surtout celui d'une autre économie. C'est ce que raconte l'histoire de Jocelyne, une agricultrice bio de Joncquières-Saint-Vincent dans le Gard. Étouffée par les demandes des grossistes, elle manque de mettre la clef sous la porte. C'est alors qu'elle entend parler des AMAP (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne), qui lui garantissent des débouchés toute l'année, une bouée de sauvetage dans une France où un agriculteur se suicide par jour.
Et c'est peut-être bien là la morale du documentaire. Dans un système à bout de souffle, le salut passerait par une économie plus solidaire, mais pas seulement. Car la crise n'est pas seulement économique ou financière, c'est aussi une crise de territoires qui doivent réapprendre à cohabiter pour ne faire plus qu'une. S'il esquisse un constat solide, le documentaire n'apporte pas de solutions. Un objectif néanmoins s'impose: au lieu d'investir dans les métropoles, l'essentiel est d'insuffler un souffle nouveau aux périphéries.
Extrait : comment les bobos tuent la mixité sociale

La France en face: La boboïsation tue la mixité... par 20Minutes
La France en face, documentaire, lundi 28 octobre à 20h50, France 3, 90 minutes.