ECOSSE - Les élections européennes du 25 mai n'ont pas déplacé les foules. Mais s'il y a bien un Etat où l'abstention a atteint des sommets, c'est le Royaume-Uni: seulement 36% de ses électeurs se sont rendus aux urnes. Ukip, le parti eurosceptique (voire europhobe) a triomphé, donnant du grain à moudre au Premier ministre conservateur David Cameron, qui veut organiser un référendum sur la sortie britannique de l'UE.
Le 25 mai, une partie de la population du Royaume avait pourtant un autre référendum en tête: celui qui portera sur l'indépendance de l'Ecosse. Malgré son hostilité face à un tel projet, David Cameron s'est résolu à signer en octobre 2012 un accord avec Alex Salmond, Premier ministre nationaliste de l'Ecosse (qui dispose déjà d'une importante autonomie vis-à-vis du Royaume-Uni). Baptisé accord d’Édimbourg, ce texte prévoit la tenue d'un référendum le 18 septembre 2014. Tous les Ecossais de 16 ans et plus se verront poser cette question: "Êtes-vous d'accord pour que l'Ecosse devienne un pays indépendant?".
Axel Salmond et son parti le SNP (Scottish National Party), se veulent rassurants, déclarant que la vie resterait la même, qu'une Ecosse indépendante continuerait à utiliser la livre sterling, à avoir la Reine d'Angleterre pour souverain (à l'instar du Canada) et à faire partie de l'UE note le Courrier International. Mais cette question a priori simple pourrait avoir des répercussions majeures sur l'Ecosse et le Royaume-Uni, voire l'Europe, jusqu'à un point qui reste encore à déterminer. Le camp du "oui" reste minoritaire mais les intentions de vote en sa faveur ont progressé jusqu'à atteindre 45 % en mai 2014.
Alors que la campagne officielle pour le référendum s'ouvre ce vendredi 30 mai, l'indépendance a donc de bonnes chances de passer. Mais avec quelles conséquences?
Un éclatement du Royaume-Uni?
Au Royaume-Uni, l'Ecosse occupe une place à part. Comme le note Le Monde, ses 5 millions d'habitants ont "leur propre musique, leurs billets de banque, une équipe de rugby, de football différente, des paysages distincts" mais aussi des idées politiques différentes. Ils sont ainsi "beaucoup plus à gauche" mais aussi beaucoup plus europhiles que leurs voisins.
Mais la sortie de l'Ecosse du Royaume-Uni ne passerait pas inaperçu, notamment aux yeux des autres nations britanniques. En 2012, le Premier ministre gallois Carwyn Jones et son homologue nord-irlandais Peter Robinson se sont d'ailleurs exprimés contre cette indépendance, estimant qu'il faudrait "repenser la nature de la relation" qui existe entre les nations restantes si l'Ecosse se détachait du Royaume-Uni. Concrètement, ils craignent que la domination de l'Angleterre au sein du Royaume-Uni ne devienne démesurée.
Comme le souligne Libération, une indépendance écossaise pourrait ainsi "ouvrir une brèche dans le royaume" et donner des idées aux indépendantistes des autres nations. En Irlande du Nord, certains ont d'ailleurs réclamé leur propre référendum sur l'indépendance, à l'image du Sinn Fein.
Un petit pays totalement isolé?
Les partisans de l'indépendance minimisent sa portée mais c'est le contraire pour les opposants, qui mettent en avant le risque d'isolement qui guetterait une Ecosse indépendante. En réaction au livre blanc présentant les grandes lignes du projet d'indépendance écossaise, Londres a répliqué par des menaces à peine voilées, notaitLe Figaro en janvier. Comme le résume le quotidien sur son site, le ministre des Affaires étrangères britanniques William Hague a ainsi affirmé que l'Ecosse devrait "repartir de zéro pour entamer un long et difficile processus de négociation d'adhésion" si elle veut rejoindre l'Union européenne.
Elle aurait aussi besoin de l'accord unanime des 28 Etats membres, y compris le Royaume-Uni qu'elle viendrait de quitter mais aussi l'Espagne, hostile à son indépendance à cause de la situation en Catalogne. L'Ecosse devrait aussi sans doute renoncer à son souhait de conserver la livre sterling , puisque les nouveaux Etats membres sont censés rejoindre l'euro à terme. Enfin, le pays devrait renoncer aux fameux rabais et exemptions britanniques qu'avait négocié Margaret Thatcher, notamment sur la PAC. En février 2013, Londres avait aussi publié un rapport de deux experts juridiques qui comparait une éventuelle indépendance écossaise avec l'effondrement de l'URSS, rapporte Reuters. Concrètement, 'Ecosse ne serait plus rattachée à aucune institution internationale et devrait aussi se porter candidate pour adhérer à l'Onu ou à l'Otan.
Sur le plan économique, une Ecosse indépendante pourrait aussi faire fuir les investisseurs internationaux, notamment si elle instaure une fiscalité moins avantageuse qu'au Royaume-Uni. Dans un article du Financial Times cité par Slate, on apprend ainsi que les trois principales agences de notation (Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch) n'aurait aucune intention d'accorder leur triple A au pays.
Sous-marins, whisky... une guerre froide Londres-Édimbourg?
Une des plus sérieuses pierre d’achoppement entre Londres et Edimbourg concerne les ressources en hydrocarbures. En effet, 97% des réserves pétrolières du Royaume-Uni et 58% de ses ressources gazières sont concentrées dans les eaux territoriales de l'Ecosse, en mer du Nord, note Slate. 20% du PIB écossais dépendrait alors de ces ressources, souligne Libération, et le pays pourrait utiliser cette manne pour financer les politiques sociales qu'il entend mener, mais aussi baisser les impôts. En guise de sanction, le gouvernement central envisagerait d'arrêter la construction de ses navires de guerre dans les chantiers navals de Glasgow, rapporte Le Figaro. De son côté, le gouvernement écossais (anti-nucléaire) pourrait riposter en exigeant le retrait des sous-marins nucléaires britanniques qui croisent dans ses eaux.
Maître de conférences en civilisation britannique, Didier Revest estime pour le site JOL Press que la force de frappe britannique pourrait en pâtir car la base navale de Faslane, où elle se concentre actuellement, "est non seulement remarquablement bien située d’un point de vue géostratégique, mais les sous-marins britanniques y bénéficient également de conditions idéales pour leurs manœuvres". Chef de l'état-major de la Marine britannique, Georges Zambellas va jusqu'à parler de "faille stratégique dans le dispositif militaire britannique".
Autre menace plus surprenante mais tout aussi significative mise en avant par Londres, l'Ecosse pourrait voir l'un de ses principaux trésors menacés: le whisky. "L'or ambré" bénéficie jusqu'ici des ressources du gigantesque réseau diplomatique britannique, note la RTBF. "En qualité d'ancien ambassadeur, je sais à quel point l'industrie dépend d'un soutien politique fort de la part du gouvernement, qu'il s'agisse par exemple d'influencer des négociations au niveau de l'Union européenne, ou d'exercer des pressions sur d'autres pays afin d'obtenir un meilleur accès à leur marché", a notamment déclaré David Frost, président de la Scotch Whisky Association. L'Ecosse n'existe pas encore comme Etat indépendant qu'elle a déjà la vie dure.
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