Translate

mardi 28 février 2017

Le jeu de l'électeur malin

28 février 2017
Laurent Joffrin
La lettre de campagne
de Laurent Joffrin

Le jeu de l'électeur malin

Deux candidats au moins, Hamon et Mélenchon, plaident pour l’avènement d’une VIRépublique. On ne sait si elle adviendra. Mais une chose est déjà sûre : la Ve flageole. On sait que la Constitution voulue par le général de Gaulle repose sur la prééminence de l’exécutif. Election du président au suffrage universel, scrutin majoritaire qui assure une majorité stable au président, Parlement contraint par toutes sortes de règles, dont le 49.3 est désormais le symbole honni. Or cette prééminence de l’exécutif pourrait bien sortir très amoindrie de cette séquence électorale. Ce qui laisse à l’électeur stratège une latitude inédite dans notre histoire politique.
Il est désormais probable, sinon certain, que le prochain président aura du mal à s’assurer au Parlement une majorité à sa main. Il suffit de passer en revue les candidats. Si d’aventure elle l’emportait, Marine Le Pen devrait s’allier avec d’autres pour disposer d’une Assemblée favorable (mais ne parlons pas de malheur…). Macron, dont les candidats sont neufs, très neufs, serait probablement dans la même situation, tout comme Hamon ou Mélenchon. Si l’un de ces trois-là est élu, il devra se constituer une majorité pour gouverner. Et donc trouver des alliés. Quant à Fillon, s’il gagnait, il devrait compter avec les différentes fractions de la droite, juppéiste ou sarkozyste, qui ne laisseront pas un président probablement mal élu gouverner à sa guise.
Ces présidents possibles pourraient-ils contraindre le Parlement grâce à l’arsenal obligeamment prévu par les constituants de 1958 ? Difficile : on a vu la bronca générale qu’a suscité l’emploi – pourtant modéré – de l’article 49.3 par le gouvernement Valls. Un exécutif qui s’en saisirait serait aussitôt accusé d’autoritarisme. Du coup, l’équilibre des pouvoirs changera et, dans le même mouvement, le poids relatif des deux élections, présidentielle et parlementaire. Fini l’exécutif impérieux qui impose sa politique aux députés et aux sénateurs. Il faudra négocier. Rien d’étonnant au fond : la division de la vie politique en quatre ou cinq courants antagoniques fait que n’importe quel président se trouve élu avec un quart des voix au premier tour et un vote du second tour qui traduit le rejet de son concurrent, ou de sa concurrente, bien plus que l’adhésion à son projet. Tout président, désormais, est par définition minoritaire dès son élection : il devra composer pour gouverner. La Ve dans sa version classique s’efface au profit d’un alignement de la France sur la norme européenne, qui est celle des gouvernements de coalition.
Ce changement, peu visible pour l’instant, a une conséquence immédiate sur l’élection en cours : le vote législatif devient aussi important que le vote présidentiel. On peut envoyer à l’Elysée un candidat qu’on n’aime guère mais qu’on déteste moins que son adversaire et corriger son vote en juin en donnant sa voix au courant de son choix, qui pèsera sur les orientations de l’exécutif, ou même qui formera une majorité alternative à celle du président. Prenons deux exemples : Fillon est élu malgré ses casseroles avec l’apport d’une partie des voix de gauche qui veulent faire barrage à Marine Le Pen. Aux législatives, la gauche peut encore – miracle – choisir une stratégie d’union qui lui donne un poids important au Parlement et – pourquoi pas ? – une majorité, dans la mesure où le total des voix de gauche et de centre gauche est supérieur à celui de la droite. De la même manière, Macron peut l’emporter avec les mêmes voix de gauche qui ne veulent pas d’un second tour Fillon-Le Pen. Mais aux législatives, la gauche réunie peut imposer au président Macron une politique différente de celle qu’il a proposée dans sa campagne. Tout cela est hypothétique et incertain, bien sûr. Mais cela promet aux électeurs stratèges de belles séances de remue-méninges…

C’était hier

Les propos de Marine Le Pen sur les fonctionnaires, déjà relevés hier dans cette lettre, ont une grande importance. Dopée par l’exemple Trump, la cheffe de file du FN ne prend plus de gants. Non seulement elle menace explicitement des agents de la fonction publique de représailles s’ils agissent contre elle (dans cette catégorie, elle range de toute évidence les policiers qui enquêtent sur les finances du FN, qui pourtant ne font que leur travail). Mais elle annonce à son de trompe qu’elle exigera des fonctionnaires qu’ils soient «patriotes». Dans le langage du FN, cela ne veut pas dire qu’ils doivent aimer le pays qu’ils sont censés servir : c’est leur cas d’ores et déjà. Un «patriote», dans le vocabulaire frontiste, c’est un citoyen qui partage ses idées. Ce qui se profile derrière ces propos martiaux, c’est la constitution d’un Etat-FN.
Intéressante analyse de Jérôme Sainte-Marie, ce matin dans le Figaro sur la«fragilité» du candidat Macron. On sait que dans le cas d’un second tour où il serait présent, les enquêtes d’opinion lui prédisent un score confortable, autour de 60% des voix. C’est cette idée sondagière que Sainte-Marie questionne. Dans le cas d’un duel Macron-Le Pen, le clivage droite-gauche – ou extrême droite-centre – serait, selon lui, éclipsé par la coupure peuple-élites. Candidat des «gens d’en haut», représentant des classes supérieures ou moyennes diplômées, Macron risquerait d’être battu, à l’instar d’Hillary Clinton ou des adversaires du Brexit, par une révolte électorale des «gens d’en bas», aujourd’hui invisible dans les sondages. Inquiétante perspective. D’autant plus inquiétante qu’elle ne concerne pas seulement Macron. Au vrai, Fillon ou Hamon, selon toute probabilité, se retrouveraient dans une situation comparable.
Les frondeurs face à une fronde… Le Pôle des réformateurs, l’aile droite du PS, a lancé mardi l’offensive contre Benoît Hamon, ex-frondeur en chef,l’accusant de représenter une «gauche radicalisée» et de s’être enfermé dans une «impasse stratégique». Le secrétaire d’Etat au Développement, Jean-Marie Le Guen, a porté la charge la plus violente, mardi matin sur RTL. Benoît Hamon «s’est isolé en tenant un discours extrêmement radical. […] Aujourd’hui, Benoît Hamon […] c’est un programme de rupture avec sa famille politique. […] C’est une impasse stratégique», a déploré le député de Paris, proche de Manuel Valls et fondateur du Pôle des réformateurs avec Gérard Collomb, aujourd’hui proche d’Emmanuel Macron. Une partie des réformateurs se retrouveront mardi soir autour de Manuel Valls à l’Assemblée, qui fera ainsi sa rentrée politique, un mois après sa défaite à la primaire du PS. Du côté d’EE-LV, on affecte la sérénité. La sortie de Jean-Marie Le Guen «va rassurer plein de gens», a estimé au cours d’un point presse Julien Bayou, porte-parole d’EE-LV, saluant «la clarification qui s’opère». Sauf si les électeurs socialistes en viennent à penser la même chose que les réformateurs. Dans ce cas, le duo Jadot-Hamon aura du mal à franchir le premier tour. Mais est-ce son but ?
LAURENT JOFFRIN
Élections 2017
28.02.17«Gauche radicalisée», l'élément de langage d'une partie du PS contre Hamon
28.02.17Le flou revendiqué du projet du FN, ou la théorie de la «granularité»
28.02.17Pourquoi nous voulons un débat Hamon-Mélenchon
28.02.17Menaces contre les fonctionnaires : Marine Le Pen réussit à fâcher les syndicats de magistrats et de la police
27.02.17Jean-Yves Camus : «Les fonctionnaires sont patriotes par définition»
Suivez l'actu en continuLE DIRECT

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire