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jeudi 30 novembre 2017

Les Crises.fr - L’assaut du New York Times contre la liberté de la presse, par Daniel Lazare

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30
Nov
2017

L’assaut du New York Times contre la liberté de la presse, par Daniel Lazare


Source : Daniel Lazare, Consortium News, 25-10-2017
Le New York Times, qui autrefois se faisait le champion d’une presse libre, cherche maintenant à réprimer les nouvelles que le public reçoit sur Internet sous prétexte de combattre la « propagande russe », explique Daniel Lazare.
Jadis, le danger pour la liberté de la presse venait de la droite. Mais depuis le Russie-gate, les libéraux sont en train de rattraper le temps perdu.

L’immeuble du New York Times à Manhattan. (Crédit photo : Robert Parry)

Le dernier exemple en date est un article à la une du New York Times de mardi. Intitulé « YouTube permet l’entrée aux États-Unis d’un portail russe. », il offre l’habituel blabla sur les agents du Kremlin qui s’adonnent à la magie noire politique. Mais il va plus loin en essayant de discréditer un organe d’information parfaitement légitime.
Les reporters Daisuke Wakabayashi et Nicholas Confessore notent d’emblée que RT, la chaîne de télévision financée par Moscou et anciennement connue sous le nom de « Russia Today », est aujourd’hui une référence sur Internet et observent que lorsqu’elle est devenue la première chaîne d’information YouTube à dépassé un million de vues, le vice-président de YouTube, Robert Kyncl, « s’est joint à un animateur de RT dans un studio où il a fait l’éloge de RT pour… fournir du contenu authentique au lieu d’agendas ou de la propagande. »
Déclenchez la musique de fond sinistre. « Mais maintenant », poursuit l’article, « alors que les enquêteurs à Washington examinent l’ampleur et la portée de l’ingérence russe dans la politique américaine, la relation jadis confortable entre RT et YouTube fait l’objet d’un examen plus attentif. »
Pourquoi ? Parce que RT a profité de sa « présence proéminente dans les résultats de recherche de YouTube » pour abreuver les téléspectateurs avec des vidéos négatives sur Hillary Clinton. Selon Wakabayashi et Confessore :
« Alors que l’élection présidentielle s’échauffait au printemps 2016, RT publiait régulièrement des articles négatifs sur Mme Clinton, selon les services de renseignements américains. Cela comprenait des accusations de corruption de sa fondation familiale et de liens avec l’extrémisme islamique, la couverture fréquente de courriels volés par des agents russes au président de campagne de Mme Clinton, et des accusations selon lesquelles elle était en mauvaise santé physique et mentale. »
L’article cite « la communauté américaine du renseignement » décrivant RT comme le « principal organe international de propagande du Kremlin ». Mark Warner, sénateur démocrate de Virginie, a qualifié YouTube « d’environnement riche en cibles pour toute les campagnes de désinformation. »
Puis vient le coup d’envoi : « Tout comme les pages contrôlées par les Russes sur Facebook, les vidéos YouTube de RT sont conformes aux directives communautaires de YouTube, qui couvrent des sujets tels que la nudité, les violations des droits d’auteur et la promotion de la violence contre un groupe basé sur la race ou la religion. Mais aucune propagande. »
Conclusion : RT est synonyme de désinformation et de propagande. Mais il y a un problème : l’article duTimes n’est pas très clair sur les sujets sur lesquels RT désinforme réellement.
Transformer les vraies nouvelles en fausses nouvelles
La version web, par exemple, renvoie à une interview du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, qui a eu lieu peu avant les élections de 2016. Le sujet est un courriel de septembre 2014 obtenu par Wikileaks dans lequel Mme Clinton reconnaît que « les gouvernements du Qatar et de l’Arabie saoudite… apportent un soutien financier et logistique clandestin à l’EI et à d’autres groupes sunnites radicaux de la région. »

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange
« Je pense que c’est le courriel le plus important de toute la série », affirme M. Assange alors que l’intervieweur John Pilger est d’accord. « Comme les analystes le savent, et même le gouvernement américain l’a mentionné… certaines personnalités saoudiennes ont soutenu l’EI en le finançant. Mais l’esquive a toujours été le mode de fonctionnement des princes voyous qui se servent de leur part du pétrole pour faire ce qu’ils veulent, mais en fait, le gouvernement désapprouve. Mais ce courriel dit que non, c’est le gouvernement saoudien et le gouvernement du Qatar qui ont financé l’EI. »
L’échange reprend avec Pilger en ces termes : « Et bien sûr, la conséquence en est que ce fameux groupe terroriste djihadiste appelé État islamique d’Irak et du Levant, ou État islamique d’Irak et de Syrie, a été créé en grande partie grâce à l’argent de ceux-là mêmes qui font des dons à la Fondation Clinton. »
Assange : « Oui. »
Pilger : « C’est extraordinaire. »
Est-ce de la « dezinformatsiya », comme les Russes appellent la désinformation ? Le Times laisse entendre que c’est le cas, mais en fait, la déclaration d’Assange est parfaitement correcte. L’authenticité du courriel n’est pas contestée et il ne fait aucun doute que les intérêts arabes du Golfe ont contribué massivement à la Fondation Clinton.
Comme le montrent les dossiers de la fondation elle-même, l’Arabie saoudite a versé entre 10 et 25 millions de dollars au fil des ans, le Qatar a versé entre 1 et 5 millions de dollars, tandis que d’autres gouvernements, sociétés et particuliers du Golfe ont versé entre 13 et 50 millions de dollars de plus.
Ce n’est pas une fausse nouvelle, mais la vérité. De plus, c’est une vérité scandaleuse parce qu’elle montre que Clinton prend de l’argent des gens qui financent les mêmes organisations terroristes qu’elle prétendait combattre.
C’est comme si Jesse Jackson avait été trouvé en train de soutirer des pots-de-vin au gouvernement sud-africain, un gouvernement suprémaciste blanc, pendant l’apartheid. Si cela s’était produit, le Timesaurait pris les armes. Non seulement il n’ a jamais dit un mot sur le courriel Clinton de 2014, mais il s’en prend maintenant à RT pour avoir diffusé des nouvelles sur lesquelles il s’est assis depuis des mois.
Qu’est-ce qui se passe ici ? Le Times laisse-t-il entendre que la vérité n’est pas pertinente et que la seule chose qui compte, c’est d’où elle vient ? S’agit-il de dire que ce qui est dit importe moins que celui qui ledit ; et que si c’est RT, WikiLeaks, ou qui que ce soit, nous devons tous nous boucher les oreilles pour que le message soit bloqué ?
Une exclusion des informations étrangères
L’article suggère ensuite que « l’adhésion de RT à YouTube montre à quel point il pourrait être difficile de limiter l’influence étrangère » et que demander à ce que l’influence étrangère soit réduite pour la seule raison qu’elle est étrangère est très dangereux. En effet, ce n’est rien d’autre qu’un écho libéral de la politique isolationniste, America-First pratiquée par Donald Trump, si ce n’est que là où Trump veut interdire les immigrants et les importations, le Times veut interdire l’accès à des informations étrangères, peu importe leur pertinence ou leur véracité. Au lieu de rendre compte des nouvelles, il cherche à les bloquer.

Hillary Clinton lors d’un rassemblement à Phoenix, Arizona, le 21 mars 2016. (Photo de Gage Skidmore)
Pendant que le Times pourchassait RT, le Washington Post annonçait publiquement la nouvellesensationnelle que le cabinet d’avocats de la campagne Clinton avait payé pour le fameux dossier Christopher Steele, célèbre pour avoir accusé Trump d’avoir payé deux prostituées pour uriner sur un lit d’hôtel à Moscou, autrefois occupé par Barack et Michelle Obama.
Après avoir accusé la campagne de Trump de collaborer avec des agents étrangers pour influencer une élection américaine, il s’avère que les Démocrates, ou du moins leurs avocats, ont non seulement collaboré, mais ont engagé un agent étranger, Steele, un ancien du MI6, la version britannique de la CIA, à faire de même. (Et Steele a prétendu avoir amené des fonctionnaires russes à fournir des accusations non fondées visant à nuire à la campagne de Trump).
Le résultat de tout cela a été des balivernes empilées sur des balivernes. Plus d’un an après l’énorme dépotoir de courriels du Comité national démocrate, il n’ y a toujours aucune preuve de la responsabilité du Kremlin, ni même qu’il s’agissait d’un piratage informatique. (Wikileaks, avec son taux de véracité record de 100 %, continue de soutenir que les courriels ont été divulgués par un interne).
En effet, le seul motif de l’accusation est un rapport de CrowdStrike, une société de cybersécurité californienne dont le directeur technique, Dmitri Alperovitch, est connu à la fois pour son parti pris anti-Kremlin et ses liens étroits avec le camp de Clinton. (Voir Consortiumnews. com : « The Scandal Hidden Behind Russia-gate. ») [Le scandale caché derrière le Russie-gate]
Le FBI n’ a jamais inspecté les serveurs informatiques du DNC pour voir s’ils étaient réellement piratés, alors qu’une erreur majeure de CrowdStrike – il a par la suite accusé les séparatistes pro-russes d’utiliser des logiciels malveillants similaires pour cibler les unités d’artillerie ukrainiennes – n’a pratiquement pas été signalée, même si la firme a été contrainte de se rétracter. Évidemment, le Times n’a jamais rien dit sur la bévue.
Les motifs du NYT
Quel est le but ici ? L’un des objectifs, bien sûr, est de chasser Trump du pouvoir, non pas comme opposant de gauche, certes, mais de droite, sur la base de la xénophobie anti-russe. Mais un autre est ce que l’on pourrait décrire comme une expérience sur la conformisme populaire induit.

La tombe du Soldat inconnu devant le mur du Kremlin, le 6 décembre 2016. (Photo de Robert Parry)
Si, grâce au Russie-gate, le Times parvient à faire croire aux Américains que le pays est frappé par une épidémie de « fausses nouvelles », même si personne ne sait ce que le terme veut dire ; s’il parvient à convaincre les lecteurs que les nouvelles sont de la « désinformation » simplement parce qu’elles proviennent d’un média russe ; s’il parvient à les convaincre que « des agents affiliés au Kremlin ont secrètement construit de faux groupes Facebook pour fomenter la division politique », même si « affiliés au Kremlin » peut signifier à peu près n’importe quoi sous le soleil ; s’il peut faire toutes ces choses, il peut les persuader d’abandonner leurs facultés critiques et croire tout ce que les agences de renseignement américaines (et le New York Times) leur disent de croire.
L’intégration des médias d’entreprise et de la « communauté du renseignement » sera ainsi achevée. A la place de l’information, il en résultera un flot constant de propagande de la CIA visant à réduire les facultés critiques et préparer le public à une mésaventure impériale de plus.
Le Times, pour paraphraser Chico Marx, demande essentiellement aux lecteurs : « Qui allez-vous croire, la CIA ou vos propres facultés critiques ? » La bonne réponse, semble-t-il, est la première. Plutôt que d’être une force d’éveil, le « journal de référence » se transforme en son contraire.
Daniel Lazare est l’auteur de plusieurs ouvrages dont The Frozen Republic : How the Constitution Is Paralyzing Democracy (Harcourt Brace). (La république congelée : comment la Constitution paralyse la démocratie).
Source : Daniel Lazare, Consortium News, 25-10-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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