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mercredi 31 janvier 2018

Gestion de l'eau : la rébellion des maires de l'Isère


31 janvier 2018

Gestion de l'eau : la rébellion des maires de l'Isère

Des élus de montagne qui s'improvisent fontainiers refusent le transfert aux intercommunalités

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On appelle ça une queue de renard ", décrit le maire. La racine de fayard ou de sapin, longue de 80  cm, ressemble à la queue touffue d'un goupil. Serge Beschi l'exhibe comme un trophée. Cet ancien mineur, élu de La Motte-d'Aveillans, à 30  km au sud de Grenoble, l'a extraite il y a un an d'une conduite du réseau d'adduction qu'elle avait fini par obturer. Comme souvent quand il " chasse la queue de renard ", il en est venu à bout avec son pic et sa pelle, en creusant le long d'un sentier sous lequel passe une partie des 30  km du réseau qui dessert son bourg de 1 800 habitants.
Chaque lundi, Eric Balme, lui, monte au réservoir d'eau potable de son village. Le maire de Saint-Pierre-de-Méarotz, 140 habitants, en lisière du parc national des Ecrins, évalue la vitesse à laquelle l'eau que crache le gros tuyau remplit son seau. Si le débit est faible, il actionne la vanne bleue pour alimenter le circuit avec une autre source. Dans ce sud montagneux de l'Isère, bon nombre de maires assurent ainsi tous les travaux du fontainier. Ces édiles se disent " attachés " à ces tâches comme à un dernier pouvoir que leur confère leur écharpe tricolore. Alors quand le gouvernement programme la fin prochaine du droit des maires, hérité de 1789, de veiller directement sur la distribution de l'eau potable et l'assainissement, ils se révoltent.
Réseaux d'eau " hors d'âge "Mardi 30  janvier, l'Assemblée nationale devrait voter en première lecture une proposition de loi déposée par les députés LRM et MoDem qui prévoit le transfert de cette compétence aux communautés de communes (" com com ") au plus tard en  2026. Jusqu'à cette date, les maires qui siègent en " com com " pourront s'opposer au transfert si 25 % des communes représentant 20 % de la population votent contre.
Le texte de loi transpose le compromis intervenu au sein d'un groupe de travail transpartisan composé de seize sénateurs et députés piloté par Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l'intérieur. Parmi ces parlementaires, les représentants des territoires ruraux et de montagne ont accepté l'échéance de 2026 pour échapper au couperet de la loi NOTRe de 2015 qui prévoyait, elle, le transfert de la compétence en  2020 quelle que soit la taille des intercommunalités. Face à la bronca des maires ruraux, Emmanuel Macron a reporté l'échéance de 2026 uniquement pour les communautés de communes.
Mais ce délai n'est qu'un repli tactique. Le chef de l'Etat espère qu'en laissant ces six ans supplémentaires aux communautés de communes pour récupérer la gestion de l'eau (197, soit 20  % l'exercent déjà), elles regimberont moins à investir pour moderniser leurs équipements. Dans les campagnes, les réseaux d'eau sont souvent " hors d'âge ",explique le cabinet de Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique. Au point que dans de nombreuses communes, un litre sur deux se perd dans la nature du fait des fuites.
Ni les villages isolés ni les milliers de petits syndicats intercommunaux de gestion de l'eau n'ont la taille critique ou les reins assez solides pour engager les travaux. Il est donc impératif, estime le gouvernement, qu'ils transfèrent la compétence pour mutualiser leurs moyens. M. Macron a prévu d'organiser au printemps des assises nationales de l'eau consacrées à explorer des financements publics ou privés pour ces investissements. Le pari du gouvernement se heurte toutefois à la résistance résolue de la plupart des édilesde la montagne. Bien que signataire de l'accord obtenu par Mme Gourault, la présidente de l'Association des élus de la montagne, Marie-Noëlle Battistel, critique le bien-fondé d'un tel transfert.
Comme la plupart des maires montagnards de son département, la députée (PS) de l'Isère ne s'attend à " aucune optimisation du service " aux habitants. " Nous ne sommes ni réacs ni bornés, explique Yann Souriau, maire de Chichilianne, dans le Trièves, territoire à l'est du Vercors. Nous combattons l'environnementalisme technocratique de ceux qui décident d'en haut, alors que notre gestion sur le terrain n'est pas -déconnante écologiquement et économiquement. "
Transférer la compétence à l'échelon intercommunal entraînerait " une perte de réactivité  des élus sur le terrain ", explique Fréderic Aubert, maire de Tréminis, autre village du Trièves. Lorsque l'orage gronde raconte-t-il, " l'eau d'une de nos sources devient trouble "" Même à 3  heures du matin, je pars dans la montagne fermer la vanne pour éviter qu'une eau turbide coule aux robinets ", témoigne Mathieu Guiguet, fontainier du village. Le jour où la communauté de communes du Triéves exercera la compétence, " nous aurons un technicien basé au siège de la “com com” au Monestier. Il mettra quarante minutes pour venir. Encore faudra-t-il qu'il entende la foudre… ",ironise M.  Aubert.
Aux critiques de l'exécutif contre " l'incurie des élus qui laissent une dette cachée pour les générations futures en n'investissant pas dans les réseaux ", les maires objectent qu'avoir des réseaux fuyards " n'est pas un gaspillage dès lors que l'eau est abondante et retourne dans le milieu naturel sans le polluer ". Ils redoutent surtout " une hausse du prix de l'eau pour les habitants ". Maire des -Côtes-de-Corps, 70 habitants, Jean-François Trossero ne relâche jamais la surveillance de son réseau. Remplacer ce bénévolat par un appel aux services de professionnels au niveau de la communauté de communes de la Matheysine ferait passer, selon lui, le prix de l'eau de 1,50  euro à 6  euros le mètre cube sur sa commune.
Réflexe " Manon des sources "L'obligation de fixer à terme un prix unique de l'eau pour les 44 communes de la " com com " de la Matheysine fait craindre à son collègue Eric Balme une flambée de la facture pour les habitants de Saint-Pierre-de-Méarotz. Le forfait annuel du prix de l'eau de 40  euros serait multiplié par dix, selon lui. En revanche, l'hostilité au transfert est bien moindre dans les communes de la plaine ou des fonds de vallée. Maire (LRM) d'Apprieu, à une trentaine de kilomètres au nord de Grenoble, Dominique Pallier se félicite du passage tout récent à la " com com " de Bièvre Est. Gérer le développement des réseaux au niveau des quatorze communes " nous donne les moyens de coordonner leur développement, souligne-t-il. Cela accompagne nos efforts pour densifier les centres-bourgs et éviter le mitage périurbain ".
Députée (LRM) de l'Isère, Emilie Chalas défend elle aussi l'intérêt du transfert. Rapporteuse de la proposition de loi débattue mardi, elle cite une étude de la direction générale des collectivités locales qui montre que " plus la commune est petite, moins la connaissance de l'état des réseaux d'eau potable est bonne ". L'élue macroniste n'en comprend pas moins le réflexe " Manon des sources " de certains maires qui vivent comme un crève-cœur la fin de cette compétence. " Chez nous, l'attachement à l'eau vive, c'est celui dont parle Giono ! ", s'enflamme le maire de Chichilianne. DansRondeur des jours, l'écrivain exalte les fontainiers. Sans dire s'ils sont du pays de Trièves, où il a vécu. Ou d'ailleurs.
Béatrice Jérôme
© Le Monde

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