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vendredi 30 mars 2018

Antisémitisme : la prise de conscience, et après ?

 
30 mars 2018

Antisémitisme : la prise de conscience, et après ?

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 A Paris, plusieurs milliers de personnes, dont de nombreux responsables politiques, ont rendu hommage mercredi soir à Mireille Knoll, tuée à son domicile la semaine dernière
 Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen dont la présence avait été jugée indésirable par le président du CRIF ont été pris à partie
 Aux Invalides, le matin même, lors de la cérémonie honorant la mémoire du gendarme Arnaud Beltrame, le chef de l'Etat a déclaré que Mme Knoll a été " assassinée parce qu'elle était juive "
Pages 8-10

30 mars 2018

" Il faut que le gouvernement ouvre les yeux "

A Paris, plusieurs milliers de personnes ont rendu hommage à Mireille Knoll, assassinée chez elle vendredi 23 mars

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Au micro de la synagogue de la rue des Tournelles, dans le 11e arrondissement de Paris, mercredi soir 28  mars, Daniel Knoll veut trouver les mots justes malgré l'affliction dans laquelle l'a plongé l'assassinat de sa mère, Mireille Knoll, vendredi 23  mars. Après les obsèques, à la mi-journée, de cette femme âgée de 85  ans, en présence du président de la République, Emmanuel -Macron, à Bagneux (Hauts-de-Seine), après la marche blanche, en fin d'après-midi, en compagnie de plusieurs milliers de personnes, il formule une demande insistante. " Nous avons besoin de changer le visage de la France ", lance-t-il, pantelant et navré.
" Il est temps qu'on arrête de massacrer les juifs, les enfants, les vielles dames ",ajoute-t-il lors de cette cérémonie organisée dans la synagogue fréquentée par sa mère." Il faut que nos amis musulmans viennent avec nous. La haine, ça suffit ! ", s'exclame-t-il. Il prend comme exemple ses filles, présentes, qui vivent en Israël, " pays magnifique où il n'y a pas d'apartheid, où on ne tue pas les Arabes, contrairement à ce qu'on dit dans certaines banlieues " " Mes filles ne sont pas des assassins ! " Quant à lui, conclut-il, il ne sait pas " comment demain - il - va pouvoir vivre avec ça ".
" Le parti du déni, c'est fini "" Ça ", c'est ce contre quoi ont voulu s'élever les milliers de personnes qui ont défilé – 30 000 selon le Conseil représentatif des institutions juives de France, initiateur du rassemblement – en fin d'après-midi, entre la place de la Nation et l'immeuble où a été tuée Mireille Knoll, meurtre pour lequel deux hommes ont été mis en examen pour homicide volontaire avec la circonstance aggravante d'antisémitisme. Elle connaissait bien l'un d'entre eux, qui était son voisin. " Elle accueillait son assassin avec gentillesse ", a témoigné son fils. Elle a  été poignardée et des départs de feu ont été constatés dans l'appartement de cette femme qui, enfant, avait échappé à la rafle du Vel' d'Hiv, en  1942.
Des politiques de tous bords ont participé à cette marche en mémoire de la défunte : les ministres Gérard Collomb, Christophe Castaner, Jean-Michel Blanquer, des représentants de la majorité – le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, la députée (La République en marche) de l'Essonne Amélie de Montchalin –, d'autres de l'opposition – le président du parti Les Républicains Laurent Wauquiez. L'ancienne ministre de la justice Christiane Taubira s'était glissée dans le cortège. " A la mort d'Ilan Halimi - en  2006 - , il n'y avait que des juifs, aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Il y a un sursaut. Le parti du déni, c'est fini ", voulait croire pour sa part le philosophe Alain Finkielkraut, également présent.
Dans la foule, cependant, nombreux étaient les juifs venus essayer d'évacuer leur inquiétude. Hélena Benmoussa et Jeff Ballouka, 18 ans chacun, sont venus avec leur uniforme de scouts israélites de France dire qu'ils sont " choqués " par ce meurtre. Hélena, qui a déménagé récemment à Londres, " où il n'y a pas de meurtre antisémite ",n'hésite pas à dire qu'elle a  désormais " peur " de vivre à Paris. La mère d'une amie de Jeff a décroché, mardi, la mezouza (petit boîtier contenant deux passages bibliques) qui ornait depuis toujours le montant de la porte de son appartement. " Mais le rassemblement fait chaud au cœur, car j'ai vu beaucoup de non-juifs ce soir ", affirme Jeff. Annie, la quarantaine, est elle aussi " inquiète, pour la famille, pour la démocratie ". Selon elle, il serait " temps de revenir à du collectif " dans le pays, de faire face enfin aux défis. " On ne traite pas les vraies questions, on ne prend pas ses responsabilités. Il est quand même incroyable que la France ne sache pas être la France, s'indigne-t-elle.Toute la question, c'est de s'intégrer. "
Roland, 61 ans, a lui aussi du mal à se satisfaire de l'action publique déployée ces dernières années. " Il faut que le gouvernement se réveille, ouvre les yeux ", affirme-t-il, en rappelant les assassinats d'Ilan Halimi, torturé à mort par le " gang des barbares " en  2006, et de Sarah Halimi, tuée puis défenestrée en  2017. " Il a fallu presque un an pour que ce meurtre soit qualifié d'antisémite, accuse-t-il. Je pense que tout le monde s'en fout un peu. On n'est pas assez nombreux pour intéresser les gouvernements. "
Roland est né en France, " adore " la France, n'a jamais été lui-même la cible d'un acte antisémite. Pourtant, il affirme qu'il compte partir " dès qu' - il - le peut " en Israël, pour y prendre sa retraite. Sa mère, ses deux sœurs, des neveux et nièces y sont déjà. Lui se souvient avec nostalgie d'une époque où des amis " de tous horizons " déjeunaient à la maison dans une atmosphère bon enfant et où les " soucis " ne venaient que du Front national (FN). Mais ce temps est pour lui révolu : " J'ai rarement vu autant de haine qu'aujourd'hui ", résume-t-il.
" Faire preuve de fraternité "Ces sentiments mêlés se retrouvent chez Laura. Cette enseignante-chercheuse de 41 ans, Américaine, vit depuis vingt ans en France. On y trouve, constate-t-elle, " un antisémitisme très fort, mais en même temps, si on est juif, en France, on peut être très heureux ". Elle a vécu l'évolution des dix-huit dernières années, le regain d'antisémitisme du début des années 2000, " qu'on a totalement masqué ", la mort d'Ilan Halimi – elle était alors déjà descendue dans la rue –, l'" instrumentalisation " du conflit israélo-palestinien, notamment par une partie de la gauche. " Si on est juif et de gauche, on est d'autant plus mal, car qui reconnaît cet antisémitisme à gauche ? ",interroge-t-elle avec quelque amertume.
A ses côtés, Yann Scioldo-Zürcher, chercheur au CNRS, se souvient de sa première manifestation, lycéen encore, à Clermont-Ferrand, en  1990, à l'occasion de la profanation du cimetière juif de Carpentras (Vaucluse). Il vit aujourd'hui entre Jérusalem et Paris et constate, pour le déplorer, l'essor de " schémas de pensée catégoriels – on est juif, musulman… – épuisants et qui ne facilitent pas le débat "" Les identités multiples sont de plus en plus difficiles à porter ", constate-t-il.
Une jeune fille voilée marche paisiblement au milieu de la foule du boulevard Voltaire. Iman Amzil, élève de 1re S, est venue rendre " hommage à toutes les victimes, en tant que musulmane. Ce ne sont pas seulement les juifs qui doivent venir montrer qu'on est contre la violence. Nous sommes tous offensés par ce qui se passe ". La veille, le directeur de son lycée, Saint-Benoist-de-l'Europe, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), leur a fait un discours sur l'assassinat de Mireille Knoll. Elle a décidé de venir " faire preuve de fraternité ".
Le matin même, lors de l'hommage rendu aux Invalides au gendarme mort lors de l'attentat de Trèbes (Aude), le 23  mars, Emmanuel Macron avait affirmé que l'octogénaire avait été " assassinée parce qu'elle était juive ", victime du même " obscurantisme barbare " que le colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame. " Lorsqu'il s'agit de lutter contre l'obscurantisme ou contre l'antisémitisme ou contre le fanatisme, tout ce qui rassemble grandit ", avait déclaré de son côté le premier ministre, Edouard Philippe, à l'Assemblée nationale.
D'autres rassemblements ont eu lieu à Marseille (environ 800 personnes), Strasbourg (700), Lyon (500), Nantes (200), Bordeaux (200) et Toulouse (plusieurs centaines), selon des correspondants de l'AFP et la police. A Jérusalem, des dizaines de membres de la communauté francophone d'Israël ont allumé, sur la place de Paris, des bougies et entonné les hymnes israélien et français.
Cécile Chambraud et Olivier Faye
© Le Monde

30 mars 2018

La présence de Mélenchon et de Le Pen crée des remous

Des huées et des insultes ont rythmé le parcours du député LFI et de la présidente du FN qui a, elle, été protégée par des membres de la LDJ

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Wallerand de Saint Just patiente au coin du boulevard Diderot et de la place de la Nation, à Paris. Entouré d'une quinzaine de militants et d'élus de son parti, le trésorier du Front national attend l'arrivée de Marine Le Pen. La députée du Pas-de-Calais doit participer, ce mercredi 28  mars, à la marche blanche organisée en mémoire de Mireille Knoll, une octogénaire assassinée à son domicile, deux rues plus loin, " parce qu'elle était juive ", selon les mots utilisés par Emmanuel Macron.
La présence de la présidente du FN, tout comme celle du chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, a pourtant été déclarée indésirable par le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Francis Kalifat. " La surreprésentation des antisémites, tant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite, rend ces deux partis infréquentables ", s'est-il justifié sur RTL, mercredi. Mais les paroles de Daniel Knoll, fils de la victime, qui s'est refusé à exclure quiconque dans une interview à RMC – " j'ouvre mon cœur à tout le monde " – ont convaincu la fille de Jean-Marie Le Pen de venir.
Un homme se dirige vers Wallerand de Saint Just. " Je suis un ami de David Dassa - Le Deist, avocat du FN - , de la LDJ, lui glisse-t-il à l'oreille. Nous sommes là pour la sécurité de Marine Le Pen. " Il adresse un sourire entendu à son interlocuteur, avant de repartir. La LDJ, Ligue de défense juive, est une organisation sioniste extrémiste, connue pour ses actions violentes. Alors que cette dernière risquait la dissolution, en  2014, Mme Le Pen avait publiquement pris sa défense, avec l'ambition politique d'affirmer que le FN n'est pas un parti antisémite, mais aussi pour appuyer une lutte commune contre l'" antisémitisme islamiste ", selon ses termes. Me Dassa-Le Deist, lui, connaît bien les militants de la LDJ, puisque le groupuscule compte parmi ses clients. " Cinquante mecs dont le métier est de foutre le bordel ", déplore un connaisseur du milieu. Sur Twitter, un compte " LDJ Paris " annonçait la couleur, mercredi après-midi :" Cette marche ne sera ni silencieuse, ni blanche ! "
" On t'avait prévenu, Jean-Luc… "Jean-Luc Mélenchon l'a très vite constaté. A peine sorti d'un bar où il se trouvait en compagnie d'élus de son mouvement (Clémentine Autain, Eric Coquerel, Adrien Quatennens), le député des Bouches-du-Rhône a été la cible d'invectives de la part de quelques dizaines de personnes, aux cris d'" insoumis enculés ! " ou " insoumis dehors ! ". Plus tôt, le président du CRIF avait expliqué son rejet du patron de LFI en raison du soutien que ce dernier a exprimé à l'égard du mouvement de boycott contre Israël lancé en  2014, en réponse à une offensive de l'Etat hébreu sur la bande de Gaza.
Alors que l'élu voulait rejoindre la manifestation, il a finalement été évacué. " Le sujet de la manifestation, ce n'est pas moi. C'est cette femme assassinée par des violents et des barbares et la nécessité de montrer que toute la communauté nationale serre les rangs. Le reste, c'est vraiment un épiphénomène ", a déclaré M. Mélenchon avant de partir. Le même compte Twitter " LDJ Paris " a aussitôt ironisé : " On t'avait prévenu, Jean-Luc… "
Présent dans le cortège, le philosophe Alain Finkielkraut déplorait ces échauffourées : " Je suis très hostile à LFI, on peut même dire que ce sont des islamo-gauchistes, mais ces cris contre eux sont indignes. On n'a pas à faire la police de la manifestation. Vient qui le souhaite, “insoumis” comme FN. "
Dans le même temps, Marine Le Pen, arrivée en compagnie des députés FN Gilbert Collard, Louis Aliot, Bruno Bilde et Ludovic Pajot, était elle aussi accueillie par des huées et des insultes. Mais, en plus des CRS et des représentants du service d'ordre du FN, des militants de la LDJ ont assuré la protection de la délégation. Un temps exfiltrée dans une rue adjacente, la présidente du FN a tenu à revenir dans le cortège pour finir la marche, arrivant devant l'appartement de Mme Knoll avec quelques dizaines de minutes de retard sur les autres responsables politiques. " Malgré les intimidations, je suis encore là, a-t-elle revendiqué. Je suis là pour nos compatriotes juifs qui sont les premières cibles du fondamentalisme islamiste. Je suis exactement à ma place. "
Mardi, son père, Jean-Marie Le Pen, avait été définitivement condamné par la Cour de cassation à 30 000  euros d'amende pour avoir à nouveau qualifié, en  2015, les chambres à gaz de " détail " de l'histoire de la seconde guerre mondiale. A son sujet, Wallerand de Saint Just, qui l'a défendu comme avocat à de nombreuses reprises dans des procès pour incitation à la haine raciale, déclarait avant le début de la manifestation : " J'ai toujours dit que Jean-Marie Le Pen est l'homme le moins raciste et le moins antisémite que je connaisse. Mais il a eu quelques paroles blessantes. " Un euphémisme pour décrire l'attitude du fondateur du FN dont les sorties ont choqué pendant des années les milliers de participants à cette marche en hommage à une femme ayant échappé de peu à la rafle du Vél' d'Hiv, en  1942.
O. F.
© Le Monde

 
30 mars 2018

Mireille Knoll : les suspects sortaient de prison

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Cinq jours aprèsla découverte du corps de Mireille Knoll, retrouvée lardée de onze coups de couteau et partiellement calcinée à son domicile parisien, vendredi 23  mars, l'enquête permet désormais d'en savoir plus sur le profil de ses meurtriers présumés, mis en examen pour " homicide volontaire à raison de l'appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion ", et sur leurs motivations.
Selon une source proche du dossier, les deux auteurs présumés sortaient de prison. Le principal suspect, Yacine M., 27 ans, avait été condamné, en mars 2017, à deux ans de prison, dont quatorze mois avec sursis, mis à l'épreuve pour agression sexuelle sur la fille de l'aide à domicile de Mireille Knoll. A ce titre, il a pu retrouver la liberté en septembre 2017.
A sa sortie de prison, un suivi a bien été mis en place, d'autant qu'il avait déjà un antécédent pour agression sexuelle. Trois jours après sa libération, Yacine M. avait vu le juge d'application des peines. Il avait aussi rencontré l'agent du service pénitentiaire d'insertion et de probation et avait interdiction de paraître dans l'immeuble de Mme Knoll. Interdiction qu'il n'a pas respectée.
Alex C., 21 ans, était sorti de prison mi-janvier, après y avoir passé un peu moins d'un an pour différents vols et dégradations. Depuis sa remise en liberté, il avait un sursis avec mise à l'épreuve et avait une interdiction de paraître dans le 11e arrondissement de Paris, où habitait la victime. En principe, les deux jeunes gens n'auraient jamais dû se croiser sur les lieux du drame. Sur le fond de l'affaire, Yacine M. et Alex C. nient les actes qui leur sont reprochés. Ils assument leur présence dans l'appartement de Mireille  Knoll, le 23  mars, mais se rejettent mutuellement la responsabilité des violences. C'est néanmoins sur leurs déclarations que s'est appuyée la justice pour retenir la circonstance aggravante d'antisémitisme, avec l'hypothèse privilégiée aujourd'hui par les enquêteurs d'un vol qui aurait mal tourné.
Main couranteEn garde à vue, le jeune homme de 21 ans a déclaré qu'il avait entendu son ami, Yacine M., crier " Allah akbar " au moment de frapper. " Il a aussi reconnu auprès des enquêteurs que, avant le drame, ils avaient eu tous les deux une discussion sur le fait que les juifs avaient généralement de bonnes situations, résume-t-on de source proche du dossier. L'un des deux suspects avait clairement conscience que- Mireille  Knoll était juive. "
Aucun des deux mis en examen n'a toutefois déclaré stricto sensu : " C'est une juive, elle doit avoir de l'argent ", comme l'a rapporté à gros traits le ministre de l'intérieur Gérard Collomb lors des questions au gouvernement, à l'Assemblée nationale, mercredi 28  mars.
De même, aucune main courante au nom de Mireille  Knoll faisant état de menaces à son encontre n'a été retrouvée. La seule main courante repérée concerne l'aide à domicile de la vieille dame. C'est cette démarche qui avait permis ensuite d'ouvrir les poursuites contre Yacine M. pour agression sexuelle.
élise Vincent
© Le Monde

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