Translate

dimanche 20 mai 2018

Au Venezuela, l'opposition divisée et invisible


19 mai 2018

Au Venezuela, l'opposition divisée et invisible

Les principaux opposants, interdits de se présenter à la présidentielle du 20 mai, appellent à l'abstention

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
MUTINERIE DANS UNE PRISON DE CARACAS
Des figures de l'opposition vénézuélienne participent, depuis jeudi 17 mai au soir, à une mutinerie " pacifique "dans le centre de détention des services de renseignement pour demander la libération de prisonniers politiques, ont-ils expliqué dans des vidéos diffusées sur Internet. " Aucun Vénézuélien ne doit être -enfermé à cause de ses opinions et encore moins s'il bénéficie d'un ordre de libération " de la justice, disent ces détenus dans une -lettre ouverte publiée sur Internet. L'Hélicoïde de Caracas, siège des services de renseignement, détient selon eux 256 personnes, dont 4 mineurs. Ils affirment avoir pris le contrôle du centre.
Epuisée par des années d'adversité, fracturée et dorénavant impopulaire, l'opposition vénézuélienne est la grande absente de l'élection présidentielle du dimanche 20  mai. Ses principaux partis et dirigeants ont été interdits de participer au scrutin par un pouvoir, d'année en année, de plus en plus autoritaire – " dictatorial ", selon eux –, et ses propres partisans ne croient plus en un souffle qui pourrait changer la donne.
L'opposition, dix-neuf ans après l'avènement du chavisme, cinq ans après l'arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro, moins d'un an après la série de manifestations qui avaient fait des dizaines de morts, est devenue invisible.
En cette dernière semaine de campagne entre les trois candidats autorisés – le président Maduro, l'ex-soldat puis gouverneur Henri Falcon, et le pasteur évangélique Javier Bertucci –, l'opposition historique, celle qui n'a perdu que d'un point face à Maduro en  2013 et a occupé les rues de Caracas durant quatre mois en  2017, peine à faire entendre sa voix.
En ce matin du 16 mai, place de l'Amiral-Luis-Brion, dans le centre de Caracas, où les partis d'opposition ont donné rendez-vous à leurs partisans, ils ne sont guère qu'une vingtaine à être arrivés à l'heure. Les policiers sont plus nombreux que les manifestants. Boucliers en avant, ils entrent immédiatement en action pour repousser la poignée d'activistes.
A 10 h 01, une minute après le début officiel de la manifestation, la place est rendue aux Caracassiens vaquant à leurs occupations ordinaires. Les vieillards et les grappes d'adolescents, qui traditionnellement occupent les bancs de la place Brion durant des heures, s'assoient avec un air amusé.
Un premier regroupement d'opposants du parti Voluntad Popular (Volonté populaire) a finalement lieu plus loin, tandis que d'autres groupes attendent sur le chemin qui doit mener les manifestants au quartier général de l'Organisation des Etats américains (ŒA), où l'opposition a prévu de remettre un appel – dont une copie est adressée à l'Union européenne (UE) – à ne pas reconnaître le résultat de la présidentielle. Le long de l'avenue, les rangs de la manifestation s'épaississent enfin, le souvenir de la dispersion de la place Brion est effacé. Ils sont une centaine à se réunir à mi-chemin, puis sont environ 500 lorsque le -cortège atteint le bureau de l'ŒA.
Manque de stratégie" Notre message est clair : ce qu'il va se passer le 20  mai n'est pas une élection mais une fraude, soutient le député Juan Andrés Mejia, du parti Primero Justicia (Justice d'abord). Maduro va se proclamer vainqueur. Maduro est un dictateur qui ne croit en aucune institution et qui veut simplement rester au pouvoir. " Autour de lui, de -jeunes manifestants crient : " Maduro dictateur ! "" Liberté ! Liberté ! "" Longue vie au Venezuela libre ! "" Pas de dictature à la cubaine au Venezuela ! " Des au-tomobilistes klaxonnent en signe de solidarité. " Ne votez pas dimanche ! ", hurle une femme.
L'opposition s'est unie, en cette année de présidentielle, en une coalition baptisée Frente Amplio (Front large) regroupant Primero Justicia, d'Henrique Capriles, Voluntad Popular, de Leopoldo Lopez, ainsi que d'autres partis de centre droit, de centre gauche, ou ce nouveau courant sans tête appelé le " chavisme dissident ".
MM. Capriles et Lopez, leurs partis respectifs ainsi que la principale coalition d'opposition – la Mesa de la Unitad Democratica (Table de l'unité démocratique) – ayant été interdits de participer à l'élection présidentielle, une décision commune fut prise de boycotter le scrutin et d'appeler les électeurs à s'abstenir. Seul Henri Falcon, un ancien chaviste, a refusé la décision collégiale et a décidé de se lancer dans l'aventure.
Dimanche, l'enjeu pour l'opposition est double : d'une part, faire en sorte que le " parti de l'abstention " l'emporte sur le taux de participation, ou au moins sur les suffrages exprimés en faveur du président Maduro ; d'autre part, conserver le soutien de la majeure partie des pays d'Amérique latine, des Etats-Unis et de l'UE en les appelant à ne pas reconnaître un résultat électoral, selon elle, frauduleux et écrit d'avance.
La décision du boycott de la présidentielle par l'opposition a diverses origines, liées à une année de terrible instabilité politique. Premièrement, la décision du pouvoir de remplacer l'Assemblée nationale, contrôlée par l'opposition, par une Assemblée nationale constituante lui étant entièrement dévouée puisque les autres partis avaient, déjà, boycotté le scrutin. Ensuite, la victoire refusée par le pouvoir d'un membre de l'opposition au poste de gouverneur de l'Etat de Bolivar. Et, enfin, la décision d'interdire un certain nombre de partis et de personnalités de participer à l'élection.
Mais le malaise est plus profond : l'opposition traditionnelle est aussi devenue, en moins d'un an, très impopulaire. Alors qu'elle avait gagné haut la main les législatives de 2015, ses partisans ne comprennent pas comment elle est parvenue à se fracturer si vite, à la suite des violences de 2017 et à l'élection de la Constituante, entre trois camps : une opposition électorale représentée à la présidentielle par Henri Falcon, un politicien auparavant très marginal ; un courant qui appelle au boycott et attend son heure en continuant de facto à jouer le jeu des institutions actuelles ; et le courant dit de " l'intervention humanitaire ", dont les chefs de file, généralement réfugiés à l'étranger, appellent à des pressions et à des sanctions, voire à une intervention de la communauté internationale pour en finir avec le chavisme.
Le sentiment qui domine au sein des antichavistes à Caracas est la déception face à un manque de stratégie après le remplacement d'une Assemblée nationale par une autre. Pour certains, les chefs de l'opposition auraient dû continuer le combat dans la rue au lieu d'interrompre les manifestations. Pour d'autres, plus modérés, ils auraient dû trouver, malgré l'empêchement de MM. Capriles et Lopez, un candidat unique et flamboyant pour mener, en dépit de l'adversité, la bataille électorale face à Nicolas Maduro.
Rémy Ourdan
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire