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dimanche 20 mai 2018

Grève des enseignants américains contre la " débrouille "


19 mai 2018

Grève des enseignants américains contre la " débrouille "

En Caroline du Nord, comme dans d'autres Etats, le secteur éducatif est sinistré par dix ans de coupes budgétaires

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Les effets n'ont pas été immédiats. Mais après dix années de coupes budgétaires, décidées à la suite de la crise économique de 2008, les écoles de Caroline du Nord et leurs enseignants en payent désormais les conséquences au quotidien. Déterminés à se faire entendre, galvanisés par des mouvements similaires lancés ces dernières semaines dans quatre autres Etats du pays, plusieurs milliers d'entre eux ont manifesté mercredi 16  mai, devant le capitole de l'Etat, à Raleigh, pour demander une augmentation du budget de l'éducation. Le ras-le-bol est à la hauteur de ce rassemblement inédit dans l'histoire de cet Etat. Selon l'association nationale pour l'éducation, la Caroline du Nord est classée au 39e rang des 50 Etats américains en termes de salaires dans les écoles publiques et 37e pour les dépenses par élève.
Tous les manifestants racontent les classes surchargées, les journées sans fin, les bâtiments insalubres, les salaires bloqués et la " débrouille " pour fournir à leurs élèves un enseignement de qualité auquel ils aimeraient encore croire. Bryanna McLean a choisi ce métier " par vocation " ; elle -enseigne depuis trois dans une école primaire. Son salaire de 40 000  dollars (34 000  euros) par an – moins de 2 000  dollars par mois après impôts – lui permet tout juste de vivre. " Je travaille dans une crèche les mois d'été, -sinon je ne m'en sortirais pas ", confie la femme de 25  ans. Certaines de ses collègues, mères de famille, occupent un deuxième emploi tout au long de l'année.
Pour Rachel Owens, enseignante de sciences en lycée depuis dix-neuf ans, la revendication salariale est presque secondaire, en dépit d'un salaire annuel de 45 000  dollars avant impôts. Elle souhaite surtout que son métier soit davantage respecté. " La connaissance donne du pouvoir. Et je veux que mes élèves acquièrent ce pouvoir. "Pour cela, encore faut-il que les conditions soient réunies, ce qui, dans son établissement, n'est pas toujours le cas. " Toutes les semaines, je dépense de l'argent pour acheter, sur mes deniers, des crayons, des feuilles ou des produits nécessaires aux expériences en laboratoire. " Et elle fixe son programme en fonction du matériel qu'elle aura les moyens d'acheter. Une démarche devenue banale dans les écoles publiques américaines. Une enquête officielle publiée le 15  mai indique que 94  % des enseignants sont dans ce cas et qu'ils consacrent en moyenne 479  dollars par an à ces achats.
" On va vers la privatisation "" Donnez-nous des fournitures -scolaires, pas des armes " : brandissant sa pancarte, Bobby Palmer, professeur de mathématiques, confirme : " Au fil du temps, la somme annuelle de 170  dollars que l'on recevait pour ces achats a diminué, jusqu'à disparaître. " Outre les fournitures, il lui arrive d'acheter des goûters pour certains de ses élèves. " Un comble  alors que les augmentations indiciaires, autrefois annuelles, n'interviennent plus que tous les cinq ans. "
Jeune retraitée, Jennifer Sparrow assure n'avoir eu aucune augmentation entre 2008 et 2015. Cette enseignante de français a repris du service dans son collège depuis janvier. Sans manuel scolaire. " On nous dit “tout est sur Internet”, mais on n'a pas d'ordinateurs ! Les enfants sont l'avenir du pays, ils méritent plus de respect. " Ces conditions de travail découragent les vocations et dans certains quartiers, les enseignants manquent. Certains passent huit  heures par jour dans leur établissement, assurant des fonctions de surveillance et d'organisation, autrefois dévolues aux assistants d'éducation, particulièrement affectés par les coupes budgétaires.
" Avant, on travaillait avec une seule classe. Maintenant, je partage mon temps entre trois ou quatre classes. Dans mon école, quand il pleut, on met des seaux dans les couloirs. On ne peut plus faire de photocopies et on a les mêmes ordinateurs depuis vingt ans ", énumère Joanna Crabtree, une assistante d'éducation. Employée dans une école d'un quartier de la classe moyenne, elle touche 21 000  dollars par an pour trente-sept  heures de travail par semaine. Cette mère de famille de 53  ans espère que " le gouvernement va enfin reconnaître le problème. Sinon, on va vers la privatisation de l'éducation ". Une crainte diffuse qui traverse les rangs des manifestants.
Car, si depuis 2008, l'éducation a été touchée de plein fouet par les coupes budgétaires, notamment dans les Etats républicains, la reprise économique n'a pas forcément inversé la tendance. Mercredi, à Raleigh, le gouverneur -démocrate, Roy Cooper, a rappelé son intention d'aligner les -salaires des enseignants sur la moyenne nationale, en annulant des baisses d'impôts pour les entreprises. Mais cette promesse se heurte à la majorité républicaine du Congrès local.
L'effet domino, amorcé par la Virginie occidentale, l'Oklahoma, le Kentucky ou l'Arizona, et les résultats – divers – obtenus à la suite des grèves ne sont pas étrangers à la mobilisation en Caroline du Nord. Mais un contexte plus -général l'explique aussi, qu'il s'agisse des revendications nationales pour un salaire horaire minimum à 15  dollars ou du mouvement #metoo, dont les aspirations à l'égalité ont rencontré un fort écho dans cette profession majoritairement féminine.
Officiellement interdits de grève, les enseignants de Caroline du Nord s'en tiennent pour l'heure à cette unique journée d'action. En attendant novembre et les élections de mi-mandat, grâce auxquelles ils espèrent un rééquilibrage en faveur des démocrates et un changement de priorités.
Stéphanie Le Bars
© Le Monde

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