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dimanche 20 mai 2018

Italie : cette nouvelle alliance qui inquiète l'Europe


19 mai 2018

Italie : cette nouvelle alliance qui inquiète l'Europe

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 Le Mouvement 5 étoiles a rendu public, vendredi, un programme commun de gouvernement avec la Ligue, qui va être présenté lundi au président italien
 Ni Luigi Di Maio, le dirigeant du M5S (parti antisystème), ni Matteo Salvini, pour la Ligue (extrême droite), ne devraient être premier ministre
 L'Europe s'inquiète de ce gouvernement qui n'entend plus sortir de l'euro, mais défend un programme jugé " délirant " dans nombre de capitales
 Les populistes italiens ont envisagé un effacement de 250 milliards d'euros de dette publique et plus de 100 milliards de nouvelles dépenses
Les projets de la nouvelle coalition font peser le risque d'une crise de la dette sur les marchés
Page 2 et cahier éco – pages 2-3
© Le Monde


19 mai 2018

Pourquoi l'Europe tremble face à l'Italie

Les dirigeants de l'UE craignent les projets économiques, migratoires et diplomatiques d'une coalition M5S-Ligue

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L'Europe se dirige-t-elle tout droit vers une -confrontation lourde de conséquences entre Rome et Bruxelles ? Les voisins européens de l'Italie commencent à paniquer, tandis que la situation politique du pays commençait à peine à se clarifier, vendredi 18 mai. Les deux partis " antisystème " arrivés en tête aux récentes législatives, la Ligue et le Mouvement cinq étoiles (M5S), ont annoncé la veille qu'ils soumettraient lundi 21  mai leur programme au président Sergio Mattarella. Ils espèrent alors être en mesure de révéler l'identité du prochain président du Conseil – ni Matteo Salvini, ni Luigi Di Maio, leur chef de file, ne devraient occuper le poste.
Jeudi, à Sofia, lors d'un sommet européen informel consacré à l'origine aux Balkans, les dirigeants européens ont croisé – sans doute pour la dernière fois – le premier ministre sortant, Paolo Gentiloni, apprécié à  Bruxelles pour son pragmatisme. Il a cherché à les rassurer, mais aussi à mettre en garde le futur gouvernement contre toute dérive eurosceptique. " Si le pays sort des rails, les dégâts ne seront pas pour les technocrates de Bruxelles mais bien davantage pour les citoyens italiens ", a insisté le dirigeant social-démocrate.
Interrogé sur les projets de la probable future coalition, la première totalement " antisystème " à la tête d'un pays fondateur de l'Union, Emmanuel Macron a d'abord avancé qu'il " faut accepter ce que les peuples décident ". Soulignant des forces " disparates, hétérogènes et paradoxales ", en référence aux positions a priori divergentes du M5S et de la Ligue, le chef de l'Etat a  ajouté que la France " fera au mieux pour travailler avec - ses - partenaires et amis ", faisant aussi remarquer que " le présidentMattarella avait dit que le gouvernement italien devrait travailler avec l'Europe ".
La coalition italienne paraît d'autant plus incongrue, vue de Bruxelles, de Paris ou de Berlin, qu'elle s'affiche aux côtés de forces clairement eurosceptiques. Les 14 eurodéputés du M5S sont ralliés à la formation d'extrême droite Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD), présidée par le héraut du Brexit, le -Britannique Nigel Farage. Quant aux cinq élus européens de la Ligue, ils sont associés au Front national (FN) français.
Le flou qui entoure le programme du prochain gouvernement n'arrange rien, même si les deux partis auraient renoncé à sortir de la zone euro et à la demande, jugée " délirante " par plusieurs sources, d'un effacement de la dette publique italienne par la BCE à hauteur de 250  milliards d'euros.
Un nouveau " moment Syriza "En revanche, de très coûteux projets demeureraient, comme une " flat tax ", un impôt sur le revenu ramené à 15  % et 20  %, ou un revenu universel de 780 euros par bénéficiaire – inscrit au programme du M5S. Ces promesses de campagne pourraient coûter entre 109 et 126  milliards d'euros, selon l'Observatoire italien des comptes publics. De quoi violer allégrement le pacte de stabilité et de croissance européen – dont la coalition demande la révision – et son plafond autorisé d'un déficit public de 3  % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Pour 2018, le déficit italien est attendu par Bruxelles à 1,7  % de son PIB seulement, mais l'inquiétude porte surtout sur l'énorme dette publique, encore annoncée à 130,7  % du PIB pour 2018.
Certains vont même jusqu'à craindre un nouveau " moment Syriza ", en référence à la coalition de la gauche radicale grecque, dont Alexis Tsipras avait pris la tête au début 2015, défiant les règles de l'Union européenne (UE) pendant six mois, au point de mener son pays tout près d'une sortie de l'euro. A  l'époque, l'action de la Banque centrale européenne, qui avait coupé le robinet des liquidités au pays, et celle de ses autres créanciers, avaient forcé Athènes à respecter les règles de l'UE.
Qu'en serait-il de l'Italie, troisième puissance économique de l'union monétaire ? Le reste de l'UE n'aurait tout simplement pas les moyens de la sauver si elle était trop chahutée par les marchés financiers. Ou de la faire " plier " aussi brutalement que la Grèce, sous perfusion de la zone euro et du FMI depuis 2010.
D'où les mises en garde récentes de divers responsables européens. Le ministre français de l'économie, Bruno Le Maire, a ainsi déclaré que " les engagements - de l'Italie - avec l'Europe devront être respectés ".
" L'Italie doit maintenir sa politique actuelle en réduisant progressivement le déficit et la dette ", a renchéri Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, chargé de l'euro. Bruxelles a déjà usé, depuis 2014, de toutes les flexibilités autorisées par le pacte de stabilité pour maintenir l'Italie sous surveillance, sans pour autant la sanctionner, au grand dam de l'Allemagne.
L'arrivée aux manettes à Rome de ces " nouveaux barbares ", comme le Financial Timesqualifie la Ligue et le M5S, risque d'entraîner d'autres défis. L'attitude future de son pays à l'égard de questions internationales – le rôle de l'OTAN, la levée des sanctions européennes contre la Russie – est un sujet de préoccupation, a indiqué M.  Gentiloni jeudi.
L'Italie, en première ligne depuis des années dans l'accueil des migrants, pourrait surtout bloquer la réforme des règles de Dublin pour l'accueil des réfugiés, en négociation depuis deux ans à Bruxelles. Le pays s'est longtemps plaint du manque de solidarité des autres Européens et Rome pourrait exiger ces fameux quotas  de réfugiés que Budapest ou Varsovie refusent.
" L'inaction s'installe "L'avènement du gouvernement M5S-Ligue risque aussi d'être " une pierre dans le jardin français ", souligne Yves Bertoncini, président du Mouvement européen, une association fédéraliste, en France. Les relations avec l'Italie, déjà compliquées, pourraient se détériorer encore si elle devait réclamer davantage de solidarité pour l'accueil des migrants arrivés en masse sur son territoire, alors que la France n'a recueilli que 635 réfugiés passés par la péninsule dans le cadre des relocalisations décidées à Bruxelles il y a deux ans et demi.
Les projets de M.  Macron pour la zone euro risquent d'être définitivement compromis. L'Allemagne a déjà repoussé son idée d'un super-ministre des finances et d'un parlement pour l'union monétaire, et elle hésite aussi à accepter une ligne budgétaire pour l'eurozone. Une Italie réfractaire aux règles budgétaires refroidirait définitivement ses faibles ardeurs. " Les populismes, les divisions, le sentiment anti-européen progressent quand l'inaction ou l'incapacité à faire s'installent ", a averti M.  Macron, jeudi. Pour l'instant, le seul antidote à la perspective d'une confrontation entre Rome et Bruxelles, c'est " de laisser - la Ligue et M5S - se casser la figure ", affirme un membre du Parti populaire européen (droite conservatrice), la formation où siègent les élus berlusconiens de Forza Italia. En attendant, l'Europe risque de devoir bien accrocher sa ceinture.
Cécile Ducourtieux, et Jean-Pierre Stroobants


19 mai 2018

Les promesses vacillantes de l'euro

Secouée par dix ans de crise, l'union monétaire doit affronter la montée de l'euroscepticisme

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C'est le scénario noir. Un risque aux con-sé-quences au-delà de l'imaginable, que beaucoup à Paris, Bruxelles, Berlin pensaient écarté pour de bon. Voire enterré, puisque la croissance est de retour. Mais ces derniers jours, la perspective d'une coalition gouvernementale entre les populistes du Mouvement 5 étoiles et les souverainistes de la Ligue en Italie a rappelé les europhiles à la réalité : la zone euro n'est pas immortelle. Rien ne garantit qu'elle survivra à la prochaine crise financière. Et avant cela, peut-être, à l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement euro-sceptique dans la troisième économie de la région. Car même si les deux formations italiennes affirment vouloir conserver l'euro, elles pourraient bloquer les réformes indispensables à sa pérennité. " Avec l'Italie, une terrible épreuve de vérité se prépare pour l'union monétaire ", redoute Daniel Cohen, économiste à l'Ecole normale supérieure.
La monnaie unique est une institution fragile. Et jeune. Les Etats membres l'ont introduite en  1999 pour les transactions financières, puis en  2002 pour les pièces et billets. Avec un objectif : renforcer encore les liens entre leurs économies, mettre fin aux incertitudes liées aux fluctuations des changes et contribuer à la prospérité commune. Seulement voilà : sur les dix-neuf années d'existence de l'euro, dix ont été marquées par la crise. Cela rend tout bilan délicat. Les plus sévères soulignent que dans les pays les plus faibles, il a contribué à la désindustrialisation. Les eurosceptiques lui font porter le chapeau de tous les maux du moment, du chômage aux inégalités en passant par les délocalisations. " L'euro sert parfois de bouc émissaire facile ", regrette Philippe Martin, président délégué du Conseil d'analyse économique. "Il a pu aggraver certaines difficultés, mais beaucoup -relèvent d'abord de problèmes nationaux ", ajoute Jeromin Zettelmeyer, économiste en chef du ministère de l'économie allemand entre 2014 et 2016, aujourd'hui à l'Institut Peterson, un think tank de Washington.
Voilà où en est l'euro : tout le monde s'accorde à dire qu'il fonctionne mal. Mais les diagnostics sur les causes divergent. Si l'on schématise, deux grands courants s'affrontent. Le premier, plutôt représenté en Allemagne et en Europe du Nord, juge que les problèmes viennent pour bonne partie des erreurs de politiques économiques de certains gouvernements, responsables, entre autres, d'avoir violé les règles collectives. En particulier celles imposant la limite de 3  % du PIB pour le déficit public et de 60  % pour la dette -publique. Dans ces conditions, il faut renforcer les règles. Sans quoi, mutualiser dettes ou budgets conduirait à la catastrophe.
Le second courant, notamment représenté en France, estime que l'incomplétude de la monnaie unique est, pour l'essentiel, à l'origine du mal. " Comme elle n'a pas de budget fédéral ni de mécanisme de solidarité, les ajustements sont uniquement portés par les pays les plus fragiles, contraints de -couper dans les dépenses et les salaires : la zone euro telle qu'elle fonctionne aujourd'hui fabrique la divergence entre ses membres ", s'inquiète Patrick Artus, économiste chez Natixis.
Pas étonnant, dès lors, que Paris et Berlin aient tant de mal à s'entendre. Les deux pays doivent présenter, avant le sommet européen des 28 et 29  juin, une feuille de route commune jetant les pistes des réformes pour solidifier l'euro. Mais en dépit des appels d'Emmanuel Macron, l'Allemagne traîne des pieds. L'idée de créer un budget de la zone euro, chère à Paris, la laisse de marbre. Toute perspective de mutualisation financière fait frémir nos voisins, soucieux de ne pas mettre au pot commun pour des pays manquant de sérieux financier à leurs yeux. " En vérité, Paris et Berlin n'ont pas le même projet en tête ", regrette un diplomate européen. " Le grand risque, aujourd'hui, est que l'on opte pour le statu quo : ce serait faire le lit de la prochaine crise ", redoute l'eurodéputée socialiste Pervenche Bérès.
Un attrait terni par la criseNombre d'économistes et dirigeants politiques restent pourtant convaincus qu'entre les deux rives du Rhin, un compromis est possible. Après tout, l'union monétaire a déjà surmonté de plus grands obstacles. Elle a survécu au risque d'une dislocation à l'été 2015, lorsque ses dirigeants se sont accordés pour maintenir la Grèce dans l'euro, en dépit des tensions explosives entre Athènes et Berlin. Le ministre des finances allemand de l'époque, le puissant Wolfgang Schäuble, était en effet favorable au " Grexit ", la sortie de la Grèce…
Donnant tort à ceux qui prédisaient leur paralysie, les dirigeants européens ont aussi réussi, au cœur de la récession, à bâtir l'union bancaire, indispensable pour renforcer les banques. Désormais, celles-ci sont supervisées de près par la Banque centrale européenne (BCE). Et les nouvelles règles exigent qu'en cas de faillite, les actionnaires – et non plus les contribuables – soient les premiers à payer. En  2012, ils ont aussi instauré un premier pare-feu anticrise, le Mécanisme européen de stabilité. Doté d'une capacité de prêt de 500  milliards d'euros, il apporte une assistance aux pays en difficulté financière. C'est lui qui, aujourd'hui, verse les aides à Athènes, dans le cadre du troisième plan de sauvetage du pays.
En outre, les partis eurosceptiques ont pour la plupart expurgé leurs discours de références à une sortie de l'Eurozone à la suite du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, en juin  2016. La déconfiture de Marine Le Pen à l'élection présidentielle française, en 2017, a démontré l'incohérence du raisonnement prônant le retour au franc. En Autriche, le FPÖ est résolument contre l'idée d'une sortie de l'euro. En Italie, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles ont quelque peu adouci leur discours pendant la campagne électorale.
Ce n'est pas un hasard : même s'ils se montrent critiques, les citoyens des dix-neuf pays membres restent attachés à la monnaie unique. D'après la dernière enquête de la Commission européenne sur le sujet, menée en octobre  2017, 64  % d'entre eux estiment qu'elle est une bonne chose pour leur pays. Il s'agit du plus haut niveau enregistré depuis 2002, en progression de 8  points sur un an. Et 79  % sont favorables à l'adoption de réformes pour améliorer son fonctionnement.
Mais hors des frontières de l'Euroland, l'euro ne fait plus rêver. La crise a terni son attrait. Selon les traités, tous les pays membres de l'Union européenne (UE) ont en théorie vocation à le -rejoindre. Or, depuis l'adhésion de l'Estonie (2011), de la Lettonie (2014) puis de la Lituanie (2015), les candidats se font rares. Parmi les huit membres restant (sans compter le Royaume-Uni), seule la Bulgarie, pays le plus pauvre de l'UE, est officiellement volontaire. Sur le papier, ses comptes publics sont dans les clous. Mais l'état de ses banques et la corruption endémique dans le pays inquiètent. "Personne ne voit Sofia entrer rapidement dans la zone euro : on ne leur dira pas non, mais le processus sera très long ", confient deux sources diplomatiques. C'est dire si la dynamique de l'Eurozone, censée incarner l'achèvement du rêve européen, s'est essoufflée.
L'adhésion de la Pologne, premier pays de l'Est par sa démographie, aurait pu la relancer. Mais il n'en est plus question depuis fin 2016, lorsque le parti conservateur eurosceptique Droit et justice (PiS) a pris le pouvoir. Au-delà des nécessaires réformes et de l'impasse du dialogue franco-allemand, le futur de monnaie -unique se joue aussi ici, juge-t-on à Bruxelles. A savoir, convaincre une Europe de l'Est échaudée par la crise des migrants et tentée par le repli populiste que l'euro n'est pas un petit club sans avenir, réservé aux pays de l'Ouest…
Marie Charrel et Cécile Ducourtieux, (Bruxelles, bureau européen)
© Le Monde


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