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samedi 19 mai 2018

La colère rentrée des Palestiniens de Cisjordanie


18 mai 2018

La colère rentrée des Palestiniens de Cisjordanie

Les divisions entre Fatah et Hamas expliquent la faible mobilisation à Ramallah par rapport à celle de Gaza

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Ils ont eu bien des raisons de se mettre en colère et de se mobiliser depuis le début de la semaine. Pourtant, les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est sont demeurés silencieux, dans leur écrasante majorité. Malgré le transfert, lundi, de l'ambassade des Etats-Unis dans la ville sainte. Malgré les 60 Gazaouis tombés le même jour sous les balles israéliennes alors qu'ils protestaient près de la clôture qui les sépare du territoire israélien. Malgré, enfin, la commémoration, mardi 15  mai, des 70 ans de la Nakba, l'exil de centaines de milliers de Palestiniens lors de la fondation de l'Etat d'Israël, en  1948.
Les principaux partis pales-tiniens de Cisjordanie n'ont pas lancé de mobilisation de masse. Aucun mouvement populaire spontané ne les a remplacés -au-delà d'expressions de colère éparses. Le 15  mai, une date qui symbolise traditionnellement la mémoire d'une défaite et la promesse d'une revanche, les rues de Ramallah, siège de l'Autorité palestinienne, sont restées calmes.
Les commerces ont gardé les portes closes, respectant la grève générale décrétée par les auto-rités. Mais, à Ramallah, l'atmosphère était celle d'un jour de congé, pas celle d'une journée de colère.
A la sortie est de la ville, devant la colonie de Beit El, lieu de -confrontation habituel, ils n'étaient que quelques centaines, des hommes jeunes et pauvres pour la plupart, à se relayer à -partir de la mi-journée pour un rassemblement limité, répondant aux codes ordinaires du genre : silhouettes juvéniles aux visages masqués par des keffiehs tirant à la fronde en direction de soldats israéliens, bardés de protections sombres, tirant des balles en caoutchouc ou des capsules de gaz lacrymogène…
" Décevant "" Nous vivons une nouvelle Nakba ! Ce déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem ainsi que tous les “martyrs” de Gaza auraient dû nous réveiller. On aurait dû être bien plus nombreux aujourd'hui ", regrette un homme âgé de 37 ans, venu faire acte de présence. Employé dans l'administration de l'autorité palestinienne, il souhaite conserver l'anonymat : " Depuis la mort d'Arafat, nous n'avons pas de chef capable de nous réunir autour de lui pour lutter. Nous n'avons plus confiance dans notre leadership. Maintenant, c'est chacun pour soi. "
Dans un bureau du centre de Ramallah, loin du tumulte, Nabil Chaath, conseiller du président Mahmoud Abbas, ramène le problème de la mobilisation à une question de pure politique in-terpalestinienne. " C'est l'absence d'unité qui empêche un mou-vement d'ensemble coordonné à Gaza, à Jérusalem et en Cisjor-danie. Voilà ce qui est décevant ", explique-t-il.
Pour ce cacique du Fatah, qui contrôle les institutions de Cisjordanie, c'est le refus du Hamas, maître de la bande de Gaza depuis 2007, qui est en cause. Nabil Chaath évoque aussi une anticipation de la réaction violente des forces de sécurité de l'Etat hébreu : " Nous pourrions envoyer 200 000 personnes vers les postes de sécurité israéliens. Mais on voit comment les Israéliens ont répondu face aux manifestants à Gaza, ce serait irresponsable de notre part. "
Selon Ofer Zalzberg, analyste du think tank International Crisis Group à Jérusalem, " le premier adversaire du Fatah à présent n'est pas Israël. C'est le Hamas qui défie sa position dominante en Cisjordanie. Le Fatah n'a pas intérêt à s'associer à une mobilisation en Cisjordanie en faveur des manifestations à Gaza qu'il perçoit comme le seul fait du Hamas. Un mouvement de grande ampleur est actuellement perçu comme un danger par Mahmoud Abbas ". Au-delà des conflits qui traversent la scène palestinienne, la défiance de la population de Cisjordanie envers son leadership politique tient aussi à la poursuite de la coordination sécuritaire avec les services israéliens.
" Tous ceux qui sont sortis pour le jour de la Nakba sont venus s'exprimer comme individus. Il n'y a pas d'encadrement, pas de direction politique ", déplorait mardi Abir, une enseignante de Ramallah venue manifester à la sortie est de la ville et qui ne donnera que son prénom. " Si cela continue, peut-être que ces colères personnelles pourront être transformées en mouvement général, mais on ne voit rien aller en ce sens ", poursuit-elle.
A Ramallah, Moustafa Barghouti, personnalité de premier plan issue de la société civile et candidat contre Mahmoud Abbas à la présidence de l'Autorité palestinienne en  2005, veut croire qu'encadrer une mobilisation populaire, en dehors des cadres politiques traditionnels, est envisageable. " Ceux qui sont sortis manifester pour la Nakba sont inspirés par les gens de Gaza. Et, à Gaza, la résistance populaire qu'accompagne le Hamas s'est nourrie de l'expérience des Palestiniens de Jérusalem qui se sont mobilisés seuls contre l'installation de portiques de sécurité sur l'esplanade des Mosquées - mont du Temple pour les juifs - en juillet  2017. Un mouvement national de tous les Palestiniens est possible. "
A ce stade, pourtant, l'idée d'une nouvelle force politique en mesure d'accompagner une éventuelle mobilisation nationale fait figure de vœu pieu. " Gaza, Jérusalem-Est et la Cisjordanie sont pris dans des trajectoires politiques, économiques, identitaires divergentes. C'est la grande réussite des Israéliens ", estime Mahdi Abdoul Hadi, historien palestinien et directeur du centre d'études Passia, à Jérusalem.
" Mais la colère et la frustration demeurent. Sans mouvement politique en mesure de la canaliser, elle se traduit par des actes de violence individuels ", analyse-t-il en faisant référence à la vague d'attaques isolées, au couteau ou à la voiture-bélier, de l'automne 2015, contre des représentants des forces de sécurité ou de simples citoyens juifs israéliens. Au cours des années précédentes, le mois de ramadan s'est avéré particulièrement propice à ce type d'actes. Cette année, il a commencé mercredi 16  mai au soir.
Allan Kaval
© Le Monde

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