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dimanche 20 mai 2018

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20.mai.2018 // Les Crises

Pourquoi tant de monde dénonce l’autoritarisme de Trump et de Poutine mais pas celui de Benjamin Netanyahou en Israël ? Par Mehdi Hasan


Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 30-04-2018

Photo : Abir Sultan/AFP/Getty Images
Nous entendons beaucoup les libéraux de l’Ouest ces derniers temps concernant la montée en puissance de gouvernements autoritaires et intolérants à travers le monde : de la Russie de Poutine à la Hongrie d’Orban, de l’Amérique de Trump à la Turquie d’Erdogan ; de l’Inde de Modi aux Philippines de Duterte.
Mais nous n’entendons rien au sujet de Netanyahou en Israël – malgré le fait que le pays, comme l’ancien ministère israélien des Affaires étrangères Shlomo Ben-Ami l’a concédé, « succombe à ses pulsions ethnocentriques les plus profondes » et se trouve « désormais sur le chemin le menant au club en forte progression des démocraties autoritaires, et il faut en remercier le Premier ministre Benjamin Netahyahou ».

Certains pensent que « sur le chemin » est un euphémisme. Selon Hagai El-Ad, directeur exécutif de B’Tselem, le Centre israélien d’information sur les droits de l’homme dans les territoires occupés, l’État juif pourrait être considéré comme un membre fondateur de ce club particulier car il a pris une « large avance » sur les autres. Par exemple, la pratique de « décrire l’opposition et notamment les organisations des droits de l’homme comme des traîtres, et aussi en appelant à des enquêtes criminelles sur elles… peut sembler familier aux observateurs de divers pays… dans lesquels les gouvernements autoritaires sont en progression », m’a-t-il dit lors du dernier épisode de Deconstructed [podcast de The Intercept, NdT], « mais Israël l’a déjà fait, bien avant ».
Considérons l’arsenal des lois « anti-démocratiques » qui ont été adoptées par la Knesset, le parlement israélien, au cours de la dernière décennie ; des lois qui ont eu un effet paralysant sur la liberté de parole et d’expression. En 2011, il y a eu la « loi sur le boycott », qui a rendu tout individu ou organisation israélienne qui appelle au boycott contre Israël susceptible d’être poursuivi en dommages-intérêts. Il y avait aussi la « loi Nakba », qui autorisait le ministère israélien des finances à couper le financement de l’État aux institutions qui rejettent le caractère d’Israël en tant qu’État « juif » ou qui marquent le Jour de l’indépendance du pays comme un « jour de deuil ». En 2015, il y a eu la « loi sur les ONG », qui cible les organisations de défense des droits de l’homme financées par des fonds étrangers en Israël et qui a été décrite par le politicien Meretz Mossi Raz comme une « loi semi-fasciste qui nuit à la démocratie et réduit au silence la dissidence d’une manière qui rappelle la Russie de Poutine ». (Sur les 27 organisations menacées par cette loi, 25 d’entre elles sont des groupes de gauche ou des groupes de défense des droits de l’homme.)
Ensuite, il y a l’opinion publique israélienne, dont le glissement vers la droite autoritaire et raciste a été remarquable au cours des dernières décennies. Selon les sondages de Pew, près de la moitié (48 %) des Juifs israéliens soutiennent maintenant l’expulsion des Arabes d’Israël, tandis que la grande majorité d’entre eux (79 %) pensent qu’ils ont le droit de mériter un « traitement préférentiel » par rapport aux minorités non juives en Israël.
Sur Deconstructed, j’ai également parlé à Avner Gvaryahu, un ancien parachutiste des Forces de défense israéliennes qui est maintenant directeur exécutif de Breaking the Silence [rompre le silence, NdT], une ONG israélienne qui est « particulièrement injuriée parmi les Israéliens de droite » parce qu’elle recueille des témoignages anonymes d’anciens combattants de l’armée israélienne sur les abus qu’ils ont commis ou dont ils ont été témoins pendant leur service dans les Territoires Occupés. Selon Gvaryahu, la droite israélienne a créé « un environnement toxique qui, je pense, aura des répercussions à l’avenir, mais à ce stade, elle détruit ce qui reste des valeurs libérales dans notre pays ».
Pour avoir fait de telles déclarations provocatrices et dénoncé d’éventuels crimes de guerreperpétrés par l’Armée de défense d’Israël dans les territoires occupés, Gvaryahu, El-Ad et leurs collègues militants des droits de l’homme en Israël ont non seulement été visés par des lois antidémocratiques, mais ils ont également fait l’objet de violences verbales, de harcèlement et de menaces de mort. Les hauts responsables du gouvernement israélien s’en sont aussi mêlés. Vous pensez que Donald Trump accusant CNN de « fausses nouvelles » est mauvais ? Netanyahou a attaqué Breaking the Silence pour avoir répandu « des mensonges et des calomnies [contre] nos soldats dans le monde entier ». Le ministre de la Défense Avigdor Lieberman a accusé les membres de B’Tselem et de Breaking the Silence de n’être des « que des traîtres » financés par « ces mêmes fondations qui financent le Hamas ».
J’ai demandé à Gvaryahu comment il réagit aux attaques personnelles et vicieuses venant des plus hauts responsables de son pays. « Nous plaisantons à ce sujet… entre membres de Breaking the Silence : À quel moment sommes-nous devenus des traîtres ? Était-ce la première fois que nous avons lu un blogueur de gauche en tant que soldats ? Est-ce que c’est quand nous avons lu… un livre quand nous gardions [des prisonniers palestiniens] que cette idée nous est venue à l’esprit, et que nous avons commencé à nous demander ce que nous faisions – étions nous déjà des traîtres à l’époque ? Lorsque nous avons partagé nos expériences en revenant à la maison, en parlant à certains membres de notre famille – avons-nous été des traîtres à l’époque ? Ou ne sommes-nous devenus des traîtres seulement après avoir rompu notre silence publiquement ? »
Ces dernières semaines, les tireurs d’élite de l’Armée de défense d’Israël ont fait l’objet de vives critiques pour avoir tiré et tué des dizaines de manifestants palestiniens non armés, y compris des enfants et des journalistes, à la frontière avec Gaza. Pour Gvaryahu, « la vérité est qu’il y a probablement des soldats à la frontière maintenant et qui feront partie de Breaking the Silence dans le futur. Sont-ils déjà traîtres en ce moment ? »
El-Ad dit qu’il n’est pas surpris par la rhétorique hostile. « Depuis 50 ans, nous définissons toute opposition palestinienne à l’occupation comme une provocation. Alors pourquoi ne commencerions-nous pas à définir l’opposition israélienne à l’occupation comme une provocation et à combler progressivement le fossé entre les deux côtés de la Ligne verte (frontière de 1967), mais dans la mauvaise direction ? »
Avec El-Ad, Gvaryahu et leurs organisations constamment attaquées par les responsables et les médias israéliens de droite, n’est-il pas honteux que les libéraux de l’Occident ne s’expriment pas haut et fort en leur faveur ? Qu’ils sont si désireux de dénoncer les comportements illibéraux et autoritaires de Trump ou Vladimir Poutine, mais si désireux de donner un laissez-passer à Netanyahou ?
Ce gouvernement actuel israélien – le gouvernement le plus à droite, et anti-paix de mémoire d’homme – est déterminé à diaboliser et à délégitimer ses détracteurs nationaux, en particulier les militants des droits de l’homme et les groupes de la société civile. En faisant fi de la liberté de parole et d’expression !
Pourquoi ? Parce que la critique juive de l’État juif a toujours été plus difficile à rejeter ou à ignorer. Que ce soit Albert Einstein et Hannah Arendt dans les années 1940… ou Natalie Portman récemment ce mois-ci. L’actrice israélo-américaine a provoqué un tollé en Israël après avoir refusé d’assister à une cérémonie de remise de prix à Tel Aviv parce qu’elle a ditqu’elle ne voulait pas apparaître comme approuvant Benjamin Netanyahou » et s’est opposée au « mauvais traitement de ceux qui souffrent des atrocités actuelles » en Israël. Et quelle a été la réponse du gouvernement israélien ? Le ministre Yuval Steinitz a affirmé que le boycott de Portman « frôlait l’antisémitisme ».
Quiconque s’élève contre le comportement répressif du gouvernement israélien, tant à l’intérieur qu’au-delà de la ligne verte, doit être réduit au silence. C’est maintenant la mentalité autoritaire et ultranationaliste qui domine non seulement à l’intérieur du cabinet Netanyahou, mais aussi à la Knesset. Plus tôt cette année, les législateurs israéliens ont donné leur feu vert à un amendement permettant au ministère de l’éducation d’interdire aux associations critiques à l’égard de l’Armée de défense d’Israël d’entrer dans les écoles. Les membres de la Knesset ont explicitement désigné Breaking the Silence lors du débat sur l’amendement.
Gvaryahu croit qu’une mesure aussi radicale et draconienne serait difficile à défendre devant les tribunaux. « Mais ce qui est plus intéressant, me dit-il, c’est que même si cela a fait l’objet de discussions et que nous sommes interdits dans les écoles qui nous invitent, nous sommes toujours invités. Il y a quelques mois, nous avons vécu une expérience assez étonnante où des élèves du secondaire nous ont invités, et leurs directeurs d’école ont eu peur du refoulement. Et ils ont décidé d’annuler. »
Néanmoins, le patron de Breaking the Silence continue, « les étudiants eux-mêmes ont dit : “Vous savez quoi ? Nous allons les rencontrer sur notre temps personnel, dans notre propre maison” – des jeunes de 17, 18 ans ! Comment motiver les jeunes de 17, 18 ans à cet âge et à cette époque à faire quelque chose ? Et pendant leur temps libre, en dehors de l’école, ils ont dit : “Nous vous inviterons”. »
Gvaryahu explique donc qu’il est optimiste et qu’il n’a pas l’intention de renoncer à sa campagne contre l’occupation illégale d’Israël ou les violations des droits de l’homme dans un avenir proche – peu importe la pression exercée d’en haut et le peu de soutien qu’il reçoit des libéraux en Occident. L’ancien soldat croit que lui et ses collègues activistes peuvent continuer à « briser le silence » devant de plus en plus d’Israéliens, surtout les plus jeunes. « Ils ferment une porte », me dit-il, « nous entrons par la fenêtre ».
Photo du haut : Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou préside la réunion hebdomadaire du cabinet à son bureau à Jérusalem le 11 décembre 2016.
Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 30-04-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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