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samedi 19 mai 2018

Les ministres de la société civile au banc d'essai


18 mai 2018

Les ministres de la société civile au banc d'essai

Un an après, la plupart des novices du gouvernement restent largement inconnus des Français

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Depuis le début du quinquennat, Emmanuel Macron comme Edouard Philippe le disent et le répètent : il n'y a pas de maillon faible au gouvernement. " Je soutiens tous les ministres dans leur action réformatrice, j'aime -travailler avec eux ", affirme au Monde le locataire de Matignon, qui loue entre autres qualités " leur très grande loyauté ". Jeudi 17  mai, une trentaine de ministres devaient se déployer sur tout le territoire, pour vanter les réformes engagées depuis douze mois, dans le cadre d'une vaste opération de communication. " Nous n'avons aucun regret sur les choix des ministres, notamment ceux -issus de la société civile. Ils sont compétents, légitimes, reconnus ", ajoute-t-on à l'Elysée.
Un an après la formation du premier gouvernement d'Emmanuel Macron, les critiques sont pourtant récurrentes à l'encontre d'un certain nombre de ministres ou de secrétaires d'Etat, devenus la -cible de l'opposition et d'une partie de la majorité. Sans surprise, les plus visés sont ceux issus de la société civile, c'est-à-dire les hommes et les femmes dont la participation au gouvernement constituait la première responsabilité politique au niveau national.
Durant la campagne, Emmanuel Macron en avait fait la promesse : son gouvernement serait resserré (pas plus de 15 ministres), paritaire et constitué pour moitié de personnalités issues du monde associatif ou de l'entreprise. Une manière de prouver qu'il ferait bien de la politique " autrement ". In fine, son gouvernement compte 32 membres dont 19 ministres, sans compter le premier d'entre eux. Un étiage comparable aux exécutifs précédents. Mais il est strictement paritaire et on y trouve une quinzaine de membres venus de la société civile.
Rumeurs de départSi certains d'entre eux ont vite pris la lumière, comme le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer, que le magazine Le Point qualifie de " vice-président "à sa " une " le 15  février, ou encore Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'égalité -entre les femmes et les hommes, d'autres n'arrivent toujours pas à sortir des abîmes de l'anonymat. A part Laura Flessel, l'ex-championne olympique devenue ministre des sports, ou bien sûr Nicolas Hulot, ancien animateur de TF1 passé à la défense de l'écologie, bien peu arrivent à émerger dans l'opinion. Selon un sondage Odoxa-Dentsu publié le 27  avril, 46 % des Français disent ne pas connaître suffisamment les ministres pour exprimer une opinion sur eux.
Au-delà de leur déficit de notoriété, plusieurs de ces " civils " ont toujours du mal à s'imposer dans leur fonction. Selon certains élus, ils seraient notamment trop dans la main de leurs administrations, un phénomène renforcé par la réduction de la taille des cabinets, limités par décret à dix conseillers pour les ministres et même à cinq pour les secrétaires d'Etat. " Au début du quinquennat, on a vu ressortir toutes les vieilles lunes des administrations ", se souvient un député socialiste passé chez La République en marche (LRM). D'autres pointent la nécessité de ne pas s'en tenir à l'aspect technique des réformes. " Un bon ministre est un ministre qui sait être technique mais aussi politique, c'est l'alliance des deux. Il y a un portage politique à mener quand on est enferré dans un dossier ", estime le député (LRM) de Paris, Pierre Person.
Ancienne directrice des éditions Actes Sud, la ministre de la -culture, Françoise Nyssen, est l'une des plus critiquées. " Connaît pas ses dossiers "" manque de sens politique "" maladroite dans les médias ", entend-on, y compris au sein de la Macronie. Les rumeurs de son départ du gouvernement sont récurrentes mais l'Elysée comme Matignon assurent qu'il n'en est rien. " La culture est un ministère compliqué qui fait face à des arbitrages douloureux. Mais Nyssen est une ministre travailleuse, qui incarne des choses et fait avancer ses dossiers ", défend une proche du chef de l'Etat.
En première ligne sur le conflit de la SNCF, la ministre des transports, Elisabeth Borne, est elle aussi dans l'œil du cyclone. Décrite comme " cassante ", l'ancienne PDG de la RATP est aujourd'hui boycottée par une partie des syndicats de cheminots, CGT en tête, qui refusent de lui parler. En public, elle a aussi du mal à s'extraire des éléments de langage préparés par son cabinet. " Objectivement, le bras de fer qui s'est ouvert à la SNCF la dépasse : dans cette bataille se joue la capacité réformatrice du gouvernement. L'affaire se gère aujourd'hui à Matignon et elle sera le premier fusible en cas d'échec ", estime le directeur du département opinion de l'IFOP, Jérôme Fourquet. En mars, le quotidien Les Echos avait décidé de ne pas publier un entretien de Mme Borne, qui avait été entièrement réécrit par les services du premier ministre. Cet incident n'a pas renforcé la ministre, qui est apparue sous la coupe de Matignon.
Relatif effacementMême Agnès Buzyn, la ministre des solidarités et de la santé, dont les compétences sont pourtant reconnues, n'est pas épargnée. " Alors qu'elle devrait porter une parole sociale, on ne l'entend pas, se désole un parlementaire LRM. Lors du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, il y a eu un manque d'incarnation politique, alors que cela aurait pu contribuer à décoller l'étiquette de président des riches. " Un argument balayé par l'exécutif. " Je ne sais pas si Agnès Buzyn est moins connue que quelqu'un avec trente ans de vie politique, mais ce dont je suis sûr, c'est qu'elle sait ce qu'est un hôpital ", défend M. Philippe.
Face aux critiques, les ministres serrent les rangs. Au début du quinquennat, les novices avaient organisé des dîners entre eux pour " partager - leur - étonnement ", selon Frédérique Vidal, ex-présidente de l'université Nice-Sophia-Antipolis devenue ministre de l'enseignement supérieur. Mais ceux-ci ont été interrompus au bout de quelques mois, faute d'utilité. Les politiques plus expérimentés ont aussi distillé leurs conseils. " Dans le gouvernement, il y a des gens moins politiques que d'autres, qui connaissent moins les us et coutumes, le fonctionnement du Parlement. C'est plus difficile quand vous n'avez pas cette pratique. Ceux qui ont un peu d'expérience sont là pour aider ", assure un ministre aguerri.
Au sein de l'exécutif, on assure en tout cas ne pas regretter le choix de néophytes. " Ils connaissent leurs dossiers, ils n'ont pas peur de bosser et ne passent pas leur temps à piétiner les plates-bandes de leurs collègues ", se réjouit un conseiller, signalant le nombre réduit, voire inexistant, de " couacs " par rapport aux quinquennats précédents. " Ils ne visent pas non plus le match d'après et sont donc concentrés sur leur travail ", ajoute le sondeur Jérôme Fourquet. " Comme les députés LRM, des ministres ont eu un apprentissage à faire mais ils l'ont fait très vite. Belloubet, Buzyn, Pénicaud, Blanquer ou Schiappa répondent aujourd'hui avec la même force qu'un Collomb ou un Castaner ", se félicite le vice-président du groupe LRM de l'Assemblée nationale, Gilles Le Gendre.
L'exécutif assure en outre qu'il n'est en rien gêné par le déficit de notoriété que rencontrent certains de ses membres. Au contraire, ce relatif effacement des ministres permettrait de renforcer l'incarnation présidentielle chère au chef de l'Etat, juge-t-on dans les coulisses de la Macronie. " Les ministres de la société civile répondent à la promesse initiale d'Emmanuel Macron : mettre des gens compétents au pouvoir pour faire les réformes nécessaires, qu'elles soient de droite ou de gauche. Le fait qu'ils ne soient pas connus ne dérange pas les Français. Cela correspond à un mouvement de fond qui est celui de la dépolitisation de la société française ", estime le directeur général délégué d'Ipsos, Brice Teinturier. " Les Français veulent que le gouvernement délivre, ils se fichent de savoir qui délivre ", abonde Jérôme Fourquet.
En attendant, cela n'empêche pas l'exécutif de procéder à certains ajustements. Alors qu'Emmanuel Macron s'était plaint durant l'été de l'absence de ses ministres sur la scène médiatique, les incitant à se rendre davantage à la télévision ou à la radio pour défendre la politique du gouvernement, le mot d'ordre est aujourd'hui à la parcimonie de la parole. " Les ministres ne doivent pas parler à tort et à travers. On ne leur demande pas de faire chacun leur récit de l'action du président. Bien sûr, ils doivent être capables d'expliquer en quoi leur action s'insère dans une vision globale. Mais ils n'ont pas tous vocation à parler de tout. Ils doivent d'abord être concentrés sur leurs sujets ", explique un proche collaborateur du chef de l'Etat. Ce dernier aurait d'ailleurs plusieurs fois résumé sa pensée, dans le huis clos du conseil des ministres : " Je n'ai pas besoin de barreurs mais de rameurs. "
Virginie Malingre et Cédric Pietralunga
© Le Monde

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