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dimanche 20 mai 2018

Seine-Saint-Denis, le rapport sur l'échec de l'État




19 mai 2018

Seine-Saint-Denis, le rapport sur l'échec de l'État

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La Seine-Saint-Denis, aux portes de Paris, bénéficie de tous les dispositifs d'aide publique, est le cinquième département de France en nombre d'habitants. Il accueille quantité d'établissements culturels et des dizaines de grandes entreprises, au point d'être le troisième contributeur national pour la TVA.
C'est aussi dans le " 9-3 " que vivent les habitants les plus pauvres du pays, son taux de chômage est le plus important d'Ile-de-France, sa criminalité la plus élevée du territoire. Il dispose de moins de magistrats, de moins de policiers ou d'enseignants, pour lesquels il s'agit souvent d'un premier poste.
Les députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LRM) ont signé un rapport sans concession sur l'action de l'Etat dans le département, intitulé " La République en échec ", dont Le Monde a pris connaissance. Il sera présenté à l'Assemblée nationale le 31 mai.
pages 10-11


19 mai 2018

Seine-Saint-Denis : la faillite de l'Etat

Un rapport parlementaire dresse le portrait de " la République en échec " et dénonce les idées reçues sur un département qui manque de tout

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LE CONTEXTE
Police
Moins d'un policier pour 400 habitants, c'est le ratio qu'atteignent des communes de Seine-Saint-Denis comme Bondy et Stains alors qu'elles ont un taux de délinquance (nombre de faits constatés pour 1 000 habitants) supérieur à 100 ‰. Au contraire, avec une délinquance de 70 ‰ à 80 ‰, des villes comme Etampes (Essonne) ou Gennevilliers (Hauts-de-Seine) bénéficient de plus d'un policier pour 400 habitants.
Justice
Le tribunal d'instance d'Aubervilliers compte en effectif théorique 2 magistrats et 11 agents de greffe. Le tribunal d'instance du 18e arrondissement de Paris, qui couvre pourtant 13 % d'habitants en moins, a un effectif théorique de 4 magistrats et 12 agents de greffe.
éducation
En 2014, 44 856 jeunes de 15 à 24 ans de la Seine-Saint- Denis ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
18,5 % des élèves de Seine-Saint-Denis entrant en 3e ont au moins un an de retard dans leur scolarité, pour 12,8 % en France.
49,5 % des professeurs du second degré restent moins de deux ans dans leur établissement, contre un tiers en moyenne nationale.
C'est la destination préférée des politiques. La Seine-Saint-Denis bat tous les records de fréquentation : pas moins de 2 700 visites officielles en un peu plus d'une décennie, dont celle d'Emmanuel Macron, qui avait choisi d'annoncer sa candidature à l'élection présidentielle à Bobigny, en novembre  2016. C'est ici, dans ce département situé aux portes de Paris, qu'élus, législateurs, hauts fonctionnaires et ministres se bousculent pour lancer petits et grands dispositifs destinés à " réduire les fractures " et dire à la nation toute l'attention qu'ils portent aux " territoires urbains fragiles ". Une surenchère d'annonces qui entretient le fantasme d'un déploiement constant de moyens exorbitants, le tout sans résultats.
Ce sont ces idées reçues que dénoncent et déconstruisent les députés François Cornut-Gentille (Les Républicains, Haute-Marne) et Rodrigue Kokouendo (La République en marche, Seine-et-Marne). Alors que le chef de l'Etat doit s'exprimer sur la banlieue mardi 22 mai, un rapport d'évaluation de l'action de la puissance publique dans le département, qui sera présenté à l'Assemblée le 31  mai, dresse le portrait de " la République en échec " (c'est le titre) et pointent du doigt les failles de l'Etat, à la fois " inégalitaire et inadapté " (c'est leur sous-titre) tout en soulignant le " paradoxe " du 9-3. Si le département attire de nombreux sièges d'entreprises, figure à la troisième place des plus gros contributeurs nationaux à la TVA et jouit d'une situation géographique que beaucoup lui envient, il concentre aussi toutes les difficultés : ses habitants sont les plus pauvres de la France métropolitaine, son taux de chômage est le plus important de l'Ile-de-France et sa criminalité la plus élevée de l'Hexagone.
En Seine-Saint-Denis, il y a moins de tout. Moins de policiers, moins d'enseignants, de greffiers, de magistrats, de médecins scolaires… " Des sous-effectifs injustifiables à mission égale ", écrivent les rapporteurs. La direction territoriale de la sécurité publique, par exemple, enregistre une insuffisance chronique d'enquêteurs : les officiers de police judiciaire (OPJ) représentent 9,4  % des effectifs, contre 16,9  % à Paris, 12,4  % dans les Hauts-de-Seine et 15,2  % dans le Val-de-Marne.
Par ailleurs, qu'il s'agisse des enseignants, des magistrats ou des policiers, " l'absence de véritable stratégie des ressources humaines (…) a fait de la Seine-Saint-Denis une école de formation bis pour les fonctionnaires stagiaires ou débutants ", souligne le rapport. Les plus inexpérimentés – les " sortis d'école "– sont envoyés faire leurs classes dans les territoires les plus difficiles, en somme. Et les montants des primes spécifiques proposées sont trop dérisoires pour avoir un réel impact sur l'attractivité des postes à pourvoir auprès des plus anciens.
Une situation d'autant plus pénalisante (et moins coûteuse) que les taux de turnover sont particulièrement élevés, tout comme ceux relatifs à l'absentéisme. En effet, la difficulté des missions se traduit par des absences répétées – notamment par des arrêts maladie – souvent non remplacées. Le temps scolaire s'en trouve durement touché tout comme le " temps très long de la justice ", selon l'expression d'Olivier Klein, maire (Parti socialiste) de Clichy-sous-Bois et président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, auditionné par les rapporteurs.
Rupture d'égalité républicaineAinsi, au pire de la pénurie de personnel au tribunal d'instance d'Aubervilliers, le délai d'audiencement était porté à douze mois, contre deux mois à Paris. Autre exemple, illustré notamment par les recherches du sociologue Benjamin Moignard : cité dans l'étude, il indique que " le moins bien doté des établissements scolaires parisiens reste mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis ". Ce rapport révèle une rupture d'égalité républicaine et décrit une mécanique dans laquelle les politiques spécifiques aux quartiers prioritaires sont mises en avant… alors même que les politiques de droit commun ne sont pas respectées et sont bien en deçà de celles mises en place dans le reste du pays. " Nous sommes tous d'accord sur le constat, quelles que soient nos étiquettes politiques ", commente Stéphane Peu, député (Parti communiste) du département, qui a fait partie du groupe de travail de la mission d'évaluation et salue la " convergence du discours " des participants.
Pour autant, souligne le rapport, l'ajustement des effectifs et des moyens ne suffirait pas à  venir à bout des difficultés. Encore faudrait-il que l'Etat ait une connaissance fine du territoire et de ses habitants, ce qui n'est pas le cas, selon les rapporteurs. Ils estiment que l'éducation nationale ignore tout du niveau réel des élèves de Seine-Saint-Denis ou encore qu'il est impossible de connaître le nombre d'étrangers en situation irrégulière présents dans le département – entre 150 000  et 400 000. " Sans informations précises, comment la réponse pourrait-elle être adaptée ? ", s'interroge François Cornut-Gentille. Les députés proposent également de repenser les outils d'action et de donner au Parlement un rôle de contrôle et -d'évaluation des politiques publiques. " On est confronté à des phénomènes nouveaux que l'on -regarde avec les lunettes de nos grands-mères ",conclut le député de la Haute-Marne.
Louise Couvelaire
© Le Monde


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19 mai 2018

Ecole " Il faut varier les méthodes d'apprentissage "

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C'est l'une des plus grandesidées reçues sur la Seine-Saint-Denis. L'école y serait " surdotée ". La raison : l'étendue de son réseau d'éducation prioritaire – 58  % des écoliers du département et 62  % des collégiens y sont scolarisés. Mais les conclusions du rapport parlementaire sont sans appel : l'instabilité des effectifs enseignants y est plus forte qu'ailleurs, l'absentéisme et le décrochage scolaire plus importants, la couverture des absences des enseignants moins efficace que dans le reste de l'académie de Créteil.
Dans ces conditions, l'école peut-elle être la même en Seine-Saint-Denis que sur le reste du territoire ? Sur le papier, les enseignants de ce département ne sont pas différents des autres. Mais en pratique, le taux de " néotitulaires " affectés dans des établissements difficiles explose par rapport au reste de la France : 64,4  %, pour 21,1  %. En  2016-2017, le département comptait 26,1  % d'enseignants de moins de 30 ans, pour 9,5  % en France métropolitaine.
Alors comment ces très jeunes professeurs, dont la formation s'affine au cours des premières années, enseignent-ils aux élèves de Seine-Saint-Denis ? Faire cours " différemment " semble être la condition sine qua non pour réussir à " accrocher " la majeure partie d'une classe. Camille Moro, enseignante depuis six ans en histoire-géographie au collège Pablo-Neruda de Pierrefitte-sur-Seine (classé REP), admet avoir connu une longue période d'adaptation. " On nous fait croire à la fac qu'on va faire de l'histoire-géo. Mais moi, le cœur de mon travail, c'est de sans cesse varier mes approches. "
Pour intéresser des classes que tous les professeurs interrogés jugent " très hétérogènes ", certains évoquent les détours de l'actualité, le " cours dialogué " où l'oral prend une place importante, ou encore les projets transdisciplinaires. " Il y a dans nos classes des élèves qui sont incapables de suivre un cours magistral, explique Iannis Roder, qui enseigne l'histoire depuis 1999 au collège Pierre-de-Geyter de Saint-Denis (classé REP). Il est donc important de varier les modalités d'apprentissage. "
Pourtant, comme l'explique la sociologue Agnès van Zanten, le détour du jeu et la variation des modalités d'approche peuvent interférer avec le contenu du cours, lorsque les enseignants passent beaucoup par l'oral ou par l'image. " On croit que les élèves ne peuvent pas rester concentrés, ce qui est en partie vrai, explique-t-elle.Donc on varie les tâches et on donne peu de choses longues, comme une dissertation ou un exercice complexe, tandis que les élèves d'établissements favorisés, eux, les pratiquent beaucoup. " De même, selon cette sociologue, ces élèves sont moins souvent notés, les enseignants étant soucieux d'éviter de les mettre en échec.
Ouverture culturelleAu risque de revoir ses exigences ? Les enseignants que nous avons interrogés contestent cette idée, même s'ils admettent " ne pas finir le programme " ou " adapter la notation " pour " encourager " un élève qui s'est investi. Selon Charlotte Grouillé, enseignante en mathématiques au collège Barbara de Stains (classé REP +), il est de toute manière impossible de revoir les exigences à la baisse car " les élèves le sentent "et ne veulent pas être traités différemment.
Dans les établissements où, selon le mot de Iannis Roder, le " capital culturel est faible ", l'école joue également un rôle d'ouverture culturelle, à la fois essentielle et relativement facile à mettre en place en région parisienne où l'offre est importante. Mais là encore, il existe des effets pervers car les sorties  prennent du temps scolaire. Or ce temps est déjà plus entamé qu'ailleurs par les absences d'enseignants, l'absentéisme des élèves, les exclusions temporaires… pour des bénéfices faibles à moyen terme. " En France, on croit beaucoup que les enfants des classes supérieures réussissent grâce à une culture générale acquise dans la famille, rappelle Agnès van Zanten. Mais il n'existe pas de corrélation forte entre les activités extrascolaires comme la musique ou le théâtre et les notes. "
En Seine-Saint-Denis, on revendique cependant d'arriver à " intéresser tout le monde ", alors que les établissements plus privilégiés " abandonnent " les mauvais élèves. " C'est vrai qu'on ne fait pas la même chose ", admet finalement Iannis Roder. " Mais ce n'est pas acheter la paix sociale. C'est garder tout le monde avec soi. "
Violaine Morin
© Le Monde


19 mai 2018

Police " Des collègues laissent ouverts de 150 à 200 dossiers "

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Face à la délinquance," on fait ce qu'on peut ". Le constat sans fard de cet officier de police de Seine-Saint-Denis résonne avec les observations de la mission d'évaluation de l'action de l'Etat dans le département. Dans leur rapport, les parlementaires évoquent des services de police sous-dimensionnés, désaffectés, en particulier en matière judiciaire où sévit une véritable " pénurie d'enquêteurs ".
Les officiers de police judiciaire (OPJ) ne représentent que 9,4  % des effectifs de sécurité publique, contre 16,9  % à Paris, ou 15,2  % dans le Val-de-Marne. Alors même que la Seine-Saint-Denis absorbe un volume important de délinquance. " Le département gère tous les jours entre 80 et 100 gardes à vue, résume le commissaire à la tête de la sûreté territoriale du département, qui s'exprime anonymement. C'est l'équivalent du 92 et du 94 réunis. On se situe juste derrière Paris, mais on n'a pas les moyens de la capitale. " La sûreté territoriale a par exemple perdu une trentaine d'enquêteurs depuis dix ans.
En 2017, ils étaient moins de 90 à gérer quelque 300 dossiers de délinquance générale (tentatives d'homicide sur fond de règlements de comptes, vols avec violences, cambriolages…), 450 dossiers impliquant des mineurs victimes et une cinquantaine portant sur des affaires de trafics de stupéfiants. Plus encore que les services spécialisés, les commissariats sont en souffrance : " Certains tournent à 4 ou 5 OPJ, s'émeut un officier de police. Ils doivent gérer les placements en garde à vue, les constatations, les réquisitions… Au quotidien, ils traitent le flagrant délit mais tout ce qui est plaintes ou enquêtes préliminaires et plus généralement tous les dossiers qui ne présentent pas de caractère d'urgence vont attendre des mois. Des collègues laissent ouverts de 150 à 200 dossiers derrière eux. Certains finissent par être prescrits. Ça concerne des vols par effraction, des escroqueries mais aussi des violences ou encore des agressions sexuelles. "
Un OPJ du département témoigne : " Je traite le tout-venant. Je passe de l'accident de voiture à l'agression sexuelle. Je suis obligé de prioriser et le risque, c'est la tentation de shooter - expédier un dossier - . Quand on arrive le matin et qu'il y a onze personnes en garde à vue, il faut vider les cages. On ne fait pas le travail d'enquête. "
Le délaissement de la filière d'investigation, particulièrement criant dans le 93, est la conséquence des départs non remplacés vers des services spécialisés dans le renseignement ou l'antiterrorisme, la lourdeur de la procédure pénale, une charge de travail dissuasive… " Une catastrophe ", pour Grégory Goupil, délégué départemental du syndicat de gardiens de la paix Alliance. Un phénomène qui affecte d'autant plus la lutte contre le trafic de stupéfiants que celle-ci convoque des méthodes complexes. " Un jeune assis sur un banc, qui siffle quand la police arrive, ça ne suffit pas à caractériser un délit. Il faut faire des écoutes, des surveillances, des interrogatoires, des perquisitions… explique un commandant de la sûreté territoriale. C'est plusieurs mois de travail pour amener un dossier étayé au tribunal. "
" On ne peut pas remonter le fil "Exemple à la Cité de la Capsulerie, à Bagnolet. " On y démantèle au moins un trafic par semaine ", affirme Grégory Goupil. Un groupe de policiers de voie publique dédié à la lutte contre le deal a récemment été créé. " Le problème c'est que les collègues tapent les guetteurs, les ravitailleurs, les vendeurs, mais, faute d'OPJ, on ne peut pas remonter le fil… ", dit M.  Goupil. Pour pallier le manque d'OPJ, la préfecture de police de Paris, dont le département relève, veut mutualiser les permanences judiciaires de plusieurs commissariats, notamment les week-ends et la nuit. Une perspective qui inquiète les policiers. A la sûreté territoriale, la chef adjointe met en garde : " Face au deal, il faut un travail préventif et nouer des partenariats avec les parquets, les bailleurs, les élus, les établissements scolaires… La lutte contre la délinquance ne peut pas être assumée par la seule police. "
Julia Pascual
© Le Monde


19 mai 2018

Justice" On couvre les dossiers entrants mais le stock ne baisse pas "

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Cela fait trois heuresqu'ils attendaient leur tour, sagement assis à bonne distance l'un de l'autre dans la salle d'audience du tribunal d'instance d'Aubervilliers, mardi 15  mai. Ils se retrouvent côte à côte au pied de la tribune pour raconter à la présidente une histoire d'une banalité confondante dans cette enceinte consacrée aux petites affaires des petites gens, autrement dit aux problèmes d'argent de ceux qui n'en ont pas.
Le petit homme, voûté, s'excuse : " J'ai fait la bêtise de rester dans l'appartement parce que je ne savais pas quoi faire. " Il a cessé de payer son loyer depuis vingt mois. La femme avec qui il partageait le loyer est partie et, à la suite d'un arrêt longue maladie, ses revenus ont été divisés par deux, à 732  euros par mois. Le propriétaire, qui n'a rien d'un crésus, s'excuse à son tour : " Je vous ai lassé cinq mois pour partir et j'étais prêt à un accord amiable, mais vous avez refusé, vous ne m'avez pas laissé le choix. "
Le locataire a attendu la veille de l'audience pour faire une demande de logement social. " Pourquoi avoir tant tardé ? ", interroge la présidente.Le jugement, qui sera rendu le 5  juin, devrait le condamner à l'expulsion et au remboursement de la dette. Le drame est qu'entre le dépôt de l'assignation en référé, une procédure d'urgence, en août  2017, et l'audience, le montant des impayés est passé de 7 300  euros à 11 970  euros. Au sortir du tribunal, les trois billets de cinquante euros qu'il tend ne vont guère faire fondre la montagne. " Je vous l'avais dit, ça va vous plomber votre retraite pendant des années ", sermonne le propriétaire en signant un reçu.
" La lenteur de la justice aggrave la situation de justiciables qui sont déjà en grande difficulté ", constate Aurélie Police, présidente du tribunal depuis janvier  2016. Un référé c'est huit mois de délais à Aubervilliers contre deux mois à Paris. " Ici les dettes sont beaucoup plus importantes que dans le 18e arrondissement de Paris ", affirme celle qui y a été juge d'instance pendant trois ans.
Fragilité des effectifsCe matin, une quarantaine d'affaires étaient inscrites à l'audience des référés. La plupart des locataires assignés ont néanmoins des revenus et/ou des aides suffisants pour éviter l'expulsion. Mais les échéanciers qu'impose le tribunal pour apurer la dette sur trente-six mois se négocient à quelques euros près, comme pour ce père de famille soulagé d'avoir ramené à 60  euros par mois ce qu'il devra rembourser en plus de son loyer.
A 1 200 mètres à vol d'oiseau du nouveau site du 19e arrondissement où les services du ministère de la justice sont réunis, le tribunal d'instance d'Aubervilliers avait été contraint de suspendre l'accueil du public pendant cinq mois jusqu'en janvier en raison des postes vacants. Il a retrouvé depuis ses effectifs. " On arrive à couvrir les dossiers entrants ", se réjouit Mme  Police. Mais le stock ne baisse pas. " Il nous faudrait dix mois d'audiences pour l'apurer, sans prendre une seule affaire nouvelle. "
La difficulté de la juridiction tient à la fragilité de ses effectifs. La greffière de la présidente et les trois agents titulaires ont demandé leur mutation hors de la Seine-Saint-Denis. L'expérience des équipes s'en ressent. La greffière affectée aux tutelles, une matière particulièrement délicate alors que 1 500 dossiers de majeurs protégés sont suivis ici, est en " pré-affectation ", sortie de l'école en avril. Un second novice devait arriver mercredi 16 mai pour l'épauler pour trois mois.
Au service de la nationalité, l'équipe est complète grâce à l'arrivé d'un " agent administratif placé ". Il tourne depuis 2014 sur les juridictions sinistrées du département pour des missions d'une durée de trois à six mois. C'est désormais le tribunal d'Aulnay-sous-Bois qui a la tête sous l'eau. Il ne prend plus d'audience en raison de l'explosion du contentieux aérien venu de Roissy, souvent des plaintes de voyageurs contre des retards.
Jean-Baptiste Jacquin
© Le Monde

19 mai 2018

LogementLes bonnes affaires des marchands de sommeil

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C'est l'une des parts d'ombre de la Seine-Saint-Denis. Des trafiquants d'un nouveau genre : les marchands de sommeil qui exploitent les logements insalubres qui représentent 7,5  % du parc mais beaucoup plus dans certaines communes. Des appartements loués à prix d'or ou hâtivement réhabilités et découpés s'il s'agit de pavillons.
Leur terrain de chasse : des biens vendus à la barre du tribunal à des prix dérisoires. " On voit tourner des marchands de biens autour des immeubles situés dans des copropriétés à la dérive qui sont légion en Seine-Saint-Denis ", observe Pierre Roussel, de Coprocoop Ile-de-France, un organisme de portage foncier qui rachète des lots pour éviter qu'ils ne tombent en de mauvaises mains. Devant ce fléau, l'Etat semble impuissant. Selon le rapport parlementaire, la cellule de police spécialisée dans la lutte contre l'habitat indigne a vu ses effectifs fondre de huit à trois fonctionnaires.
Mises à prix dérisoiresComme chaque semaine, la salle d'audience du tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis) est pleine, ce mardi 15  mai, pour la mise à l'encan de biens immobiliers. Outre la quinzaine d'avocats, poursuivant pour les créanciers ou enchérisseurs pour le compte de candidats acquéreurs, se côtoient des particuliers venus tenter leur chance. La tension et l'angoisse à l'idée de rater l'affaire se lisent sur leur visage et contrastent avec l'aisance d'un groupe de marchands de biens qui se saluent. Des hommes d'âge mûr manifestement habitués à ces procédures. A lui seul, l'un d'eux a acheté une trentaine de lots : " Les affaires deviennent difficiles, les prix montent en raison de la présence de particuliers qui font monter les prix ", se plaint-il.
Ce mardi, sept lots sont à vendre, à la demande des banques dont le crédit n'a pas été remboursé ou du syndicat de copropriété dont les appels de charges sont restés impayés. Quatre appartements trouveront preneur à l'issue de la séance ; deux seront retirés de la vente au dernier moment – les débiteurs ont payé in extremis devant la menace d'une saisie –, et personne ne voudra d'un studio en Ehpad. Les mises à prix paraissent dérisoires : 40 000  euros pour un trois-pièces de 70  m2, dans une tour des années 1970 et situé dans une copropriété en faillite, à Epinay-sur-Seine, qui ne dépassera finalement pas 42 000  euros. C'est une société immobilière d'un marchand bien connu de Sevran qui a emporté cette enchère bien peu disputée : le logement sera sans doute loué à une famille qui n'a pas d'autre choix que de vivre là. Un appartement situé à Bondy mis à prix 31 000  euros a, en revanche, grimpé en quelques minutes à 85 000  euros. Là, c'est un particulier qui l'a emporté face à un marchand de biens.
Rien qu'en  2017, un peu plus de 250 appartements et pavillons ont été adjugés à cette barre de tribunal, selon le décompte de Me Thierry Baquet, avocat spécialisé. " La publicité que l'on fait de ces ventes par Internet, sur des sites spécialisés comme Licitor ou Enchères publiques, les rend moins confidentielles qu'auparavant, où on ne les diffusait que par Les Affiches parisiennes ou la Gazette du Palais. Cela attire des particuliers ".
Pour les auteurs du rapport parlementaire : " Ces trafiquants d'un nouveau genre peuvent aussi être des Français de classe moyenne qui profitent de la situation ", comme ce membre de la police des frontières dont on a découvert qu'il était propriétaire de 55 appartements au Chêne-Pointu, la fameuse copropriété à la dérive de Clichy-sous-Bois.
Les bonnes affaires des marchands de biens sont parfois contrariées par la vigilance accrue des collectivités locales, qui préemptent, voire surenchérissent, pour s'assurer que les nouveaux copropriétaires seront de bons payeurs. Ainsi, l'organisme HLM Coprocoop Ile-de-France a, le 13  avril, surenchéri pour empêcher qu'un appartement d'une autre copropriété en grande difficulté d'Epinay-sur-Seine, dans le quartier Quetigny-3, soit acquis par un marchand de biens : " Quand on a vu que cette société civile immobilière qui ne publie pas ses comptes avait remporté l'adjudication, nous avons, comme le permet la procédure, surenchéri ", raconte Pierre Roussel, directeur du développement de Coprocoop.
Isabelle Rey-Lefebvre
© Le Monde



Le " 9-3 ", condensé de toutes les fractures sociales

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Le " 9-3 " – autrement dit la Seine-Saint-Denis, comme personne ne peut l'ignorer tant ces chiffres sont devenus le symbole des banlieues " difficiles " et des ghettos urbains – détient un triste privilège. Aux portes de Paris, ce département, où vit 1,6 million d'habitants, offre un concentré de toutes les fractures qui minent la société française.
Ce constat est désolant, car les quelques lignes qui précèdent sont, à l'identique, celles que nous publiions déjà, en 2011, à propos de ce département francilien. Il a quelque chose de désespérant, tant il s'enracine dans une histoire désormais vieille de trois ou quatre décennies.
Les rapports innombrables, les visites ministérielles incessantes, les indicateurs les plus cruels, les cris d'alarme des élus locaux et leur lassitude croissante, les bouffées de violence récurrentes, l'insécurité endémique qui sape la qualité de vie quotidienne, l'inquiétude lancinante devant les dérives communautaires, ou encore les mises en garde d'un Jean-Pierre Chevènement en 1998 ou d'un Manuel Valls en 2015 contre la menace d'" apartheid social " : rien n'y a fait. Comme si, en dépit des proclamations officielles et des solidarités locales, ce territoire en déshérence était victime d'une fatalité.
L'enquête menée par deux députés, François Cornut-Gentille, élu Les Républicains de Haute-Marne, et Rodrigue Kokouendo, élu La République en marche de Seine-et-Marne, le confirme. Leur rapport d'évaluation de l'action de la puissance publique en Seine-Saint-Denis dresse le bilan sévère d'une " République en échec " et d'une action de l'Etat " inégalitaire et inadaptée ".
Tous les chiffres, en effet, font du " 9-3 " un territoire hors normes républicaines. Ils sont d'autant plus alarmants qu'ils se cumulent : un taux de chômage de 12,7  %, de 3 points supérieur à la moyenne nationale, de 4 points à la moyenne de l'Ile-de-France ; un revenu médian mensuel d'à peine 1 300 euros, soit 300 euros de moins que la moyenne nationale et 500 de moins que la moyenne de la région ; un taux de pauvreté de 28  % (le double de la France métropolitaine) ; des familles monoparentales pauvres plus nombreuses qu'ailleurs.
A quoi s'ajoute, en dépit de dispositifs d'éducation prioritaire massifs, un taux de décrochage scolaire très supérieur à la moyenne et un taux d'absentéisme des enseignants qui ne permet pas d'assurer pleinement la continuité de l'enseignement. " A mission égale ", écrivent les deux députés, les sous-effectifs de fonctionnaires sont " injustifiables ". C'est vrai des policiers comme des enseignants, des magistrats comme des médecins scolaires.
Les pouvoirs publics, pourtant, ne sont pas restés inactifs, en Seine-Saint-Denis comme dans les quelque 200 banlieues déshéritées du pays. D'indéniables efforts ont été consacrés, depuis des années, à la rénovation de l'habitat, à l'amélioration des transports en commun (même si elle reste trop lente), à la mise en œuvre de multiples politiques sociales visant à compenser ces handicaps.
Mais, comme le notait récemment Jean-Louis Borloo dans le 

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