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samedi 19 mai 2018

Trump et le monde nouveau


18 mai 2018

Trump et le monde nouveau

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Cela s'appelle la politique du pire et, dans l'exercice, Donald Trump s'est surpassé. Comme dans une crise de préadolescence, il casse, brise, saborde. Est-ce parce que son prédécesseur était tellement plus intelligent et plus élégant ? Le président américain tient, en tout cas, ses promesses : sans rien construire à la place, il s'acharne à démolir l'héritage de Barack Obama. Sa vision du monde est simple : il y a des gagnants et des perdants. Il en décide tout seul – les alliés de l'Amérique, en Europe ou en Asie, n'ont qu'à suivre.
Même attendue, la démonstration d'unilatéralisme trumpiste de ces derniers jours, qu'il s'agisse de l'Iran ou du conflit israélo-palestinien, a surpris par sa brutalité. Les accords précédemment signés par les Etats-Unis lui importent peu, pas plus que la position traditionnellement défendue par Washington. Il n'a pas le souci de ménager ses alliés : il se moque ouvertement des Européens. Chez lui, la manière compte autant que le résultat. Trump impose. Il humilie. Il a la nostalgie du temps d'un imperium américain incontesté.
S'il avait vraiment voulu renforcer l'accord signé à Vienne, en juillet  2015, sur le contrôle du -programme nucléaire iranien, Trump ne l'aurait pas quitté comme il l'a fait – sans proposer le moindre plan B. Le Moyen-Orient est plus sûr avec des ins-tallations nucléaires iraniennes régulièrement inspectées, en échange d'une levée des sanctions économiques pesant sur l'Iran. Il est plus prometteur si l'on ménage la possibilité d'une ouverture de l'Iran à l'Ouest, qui finirait par " embourgeoiser " la République islamique sur la scène internationale.
Trump rétablit un carcan de sanctions les plus sévères possible. Il déclare la guerre économique à l'Iran. C'est toujours la même stratégie, aussi illusoire qu'immorale : spéculer sur la révolte de la population contre le régime. L'Amérique des républicains a diabolisé la République islamique. Elle accuse le chef de file de " l'axe " chiite de tous les maux du Moyen-Orient. L'Iran a sa part de responsabilité, mais l'Amé-rique de Trump a la mémoire courte. Commodément, elle oublie les ravages provoqués par un radicalisme sunnite longtemps entretenu et diffusé par son allié saoudien.
Trump a le pouvoir de torpiller le compromis de Vienne. Il peut priver l'Iran d'une bonne partie des retombées économiques attendues de l'accord. Au nom de l'insupportable extraterritorialité du droit américain, il entend forcer les entreprises européennes à renoncer au marché iranien si elles veulent continuer à être présentes sur celui des Etats-Unis. Leur choix sera vite fait. Le président n'était pas obligé de provoquer les Européens. On pouvait négocier sur cette question des sanctions.
A vrai dire, Trump se fiche bien du droit. Quand son homologue Xi Jinping lui demande d'épargner un géant chinois des télécoms, ZTE, tombé sous le coup de la loi américaine pour commerce illicite avec la -Corée du Nord et l'Iran, Trump négocie. Message aux Européens : le président américain ne respecte que la force.
Trump avait peut-être le droit de déplacer l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Ce qui est en question ici, selon les résolutions de l'ONU, c'est le statut final de la ville, qui doit être fixé par la négociation. Mais il a eu poli-tiquement tort. Il s'est livré à une provocation inutile à l'adresse des Palestiniens. Ceux-là reven-diquent qu'une partie de Jérusalem puisse devenir la capitale d'un futur Etat palestinien.
Ex-diplomate de haut vol, -Richard Haass, patron du Council on Foreign Relations,juge sévèrement le choix de Trump : " Aucun avantage, que des désavantages – les Etats-Unis grillent une carte majeure - dans une éventuelle négociation israélo-palestinienne - , affaiblissent encore leur pré-tention à jouer un rôle d'honnête intermédiaire et participent au -climat de violence. " Politique du pire, encore.
Pas de compromisMais, dans l'esprit de Trump, les Palestiniens n'existent guère ou, plutôt, sont dans le camp des perdants. Quand Riyad Mansour, le délégué palestinien à l'ONU, prend la parole au lendemain des événements de Gaza, Nikki Haley, la représentante du gouvernement américain, parfois mieux inspirée, quitte ostensiblement la salle du Conseil. Le geste incarne la conception trumpiste de la -diplomatie : un jeu à somme nulle – des perdants et des gagnants, pas de compromis.
Les Européens doivent s'interroger sur cette Amérique-là. Bien sûr, cette semaine de vandalisme diplomatique porte la marque personnelle de Trump. Mais celui-ci est aussi le symptôme de quelque chose de plus profond : l'incapacité des Etats-Unis à concevoir un leadership adapté à une scène multipolaire. Obama comprenait son époque, ce monde -globalisé où – pour reprendre les mots de l'ambassadeur Pierre Vimont, aujourd'hui pilier de la fondation Carnegie Europe – " la puissance américaine, confrontée à des partenaires de plus en plus actifs, cherche laborieusement à se définir un nouveau rôle ".
Trump, lui, veut revenir à " avant ", à la primauté américaine. Son " nationalisme de -combat " est fait de refus – de l'accord sur le climat, de l'accord de Vienne, etc. – plus que de propositions, dit Vimont (dans un remarquable article publié sur le siteCairn.info). Nous vivons un moment d'obstructionnisme américain sur la scène internationale, qui n'est peut-être pas seulement lié à Trump. Il serait aussi le reflet de la difficulté des Etats-Unis à penser leur relation à un monde où la répartition de la puissance est en train de changer – au profit de la Chine, notamment. " Le Nouveau Monde ", comme on appelait l'Amérique au XVIIe  siècle, peine à se faire au monde nouveau. Trump joue les brise-tout parce qu'il ne s'y -retrouve pas.
par Alain Frachon
© Le Monde

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